Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

02 janvier 2008

Qu'est-ce qu'une politique de civilisation?

Pardonnez-moi de commencer l'année avec un tel sujet qui n'aura pas la légèreté des bulles de champagne du réveillon...Mais il promet d'être "la" grande controverse politique de ce début 2008: Qu'entendait donc notre Président lorsqu'il concluait ses premiers voeux, le 31 décembre, par cette affirmation: "J’ai la conviction que dans l’époque où nous sommes, nous avons besoin de ce que j’appelle une politique de civilisation." Il y a ceux que le simple mot civilisation fait frémir ou bondir. Pour ceux-là la cause est entendue, Sarkozy s'est encore un peu rapproché de Bush et veut entrainer la France dans le sillage d'un "choc de civilisation". Ce sont les autruches, les "exorcistes du dialogue des cultures" auxquel faisaient référence Hubert Védrine dans un article fameux de 2003, intitulé "Comment nier le clash Islam-Occident?" En effet, il est inutile de nier que ces civilisations sont en plein conflit. Encore plus stérile de se contenter d'observer que les partisans de la confrontation sont ultra-minoritaires des deux côtés. La réalité est bien là: De plus en plus de gens croient à la supériorité de leurs valeurs et de leur culture, aussi bien en Islam qu'en Occident, ce qui occasionne des déflagrations aussi bien au large (Irak, Afghanistan, Pakistan, Israël) qu'au sein des sociétés multiculturelles que sont devenues les nations occidentales. Faut-il pour autant tomber dans l'écueil du relativisme culturel? Ce serait une erreur fatale. Si c'est ce qu'a voulu dire Nicolas Sarkozy, alors il aura eu l'immense mérite d'enfin sortir du déni permanent dans lequel, à quelques exceptions près, se réfugie notre classe politique dès que l'on aborde ces sujets. On ne peut plus s'en tirer par des pirouettes sur le "respect". C'est d'ailleurs ce que semble indiquer la suite de son allocution de voeux:
Nous ne résoudrons rien si nous ne bâtissons pas l’école et la ville du XXIème siècle, si nous ne mettons pas au cœur de la politique le souci de l’intégration, de la diversité, de la justice, des droits de l’Homme, de l’environnement, si nous ne retrouvons pas le goût de l’aventure et du risque, le sens de la responsabilité en même temps que celui du respect et de la solidarité, ou si nous n’entreprenons pas de moraliser le capitalisme financier (...)
Beau programme en effet. Qui voudrait y retrancher quoi que ce soit?
Dans la même optique, le projet "d'union de la méditerranée", cher au Président français peut et doit se concevoir comme un projet "de civilisation". Il doit montrer, idée si chère à Camus, qu'au delà des différences culturelles et religieuses, il existe de vraies valeurs communes, celles de cette vieille civilisation méditerranéenne, et qu'il faut d'urgence réinventer un grand projet fédérateur autour d'elles, qui ne soit pas seulement économique et social, mais aussi culturel. Cela n'ira pas sans difficultés car des fossés se sont creusé. Là encore inutile de se dissimuler ces choses. Et nous devons, ici en Europe, assurer notre cohésion sociale sans rien céder sur nos valeurs, mais aussi sans tomber dans le complexe de supériorité.
Celà suppose, je le crois, de rester absolument intransigeant sur la laïcité. Cela ne veut pas dire ostraciser les religions. Mais rester ferme sur les seuls principes qui nous permettent de vivre ensemble. Et sur ce sujet, Sarkozy donne des signaux contradictoires et disons-le parfois franchement inquiétants, comme récemment dans son discours aux cardinaux au palais de Latran (Vatican). Nul ne peut lui reprocher d'appeler à un peu de transcendance, ne ne pas se limiter au champ du matériel (même s'il est lui-même visiblement très à l'aise dans la société de consommation et du paraitre!), ni même de rappeler les racines chrétiennes de la France. Mais sans doute est-t-il allé trop loin en proclamant que:
Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s'il est important qu'il s'en approche, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme de l'engagement porté par l'espérance.
Certes, il est possible de le vérifier tous les jours les instituteurs d'aujourd'hui ne sont hélas plus ceux de la IIIème République, et l'école de la république faillit de plus en plus à sa mission d'intégration. Par négligence de l'Etat, mais aussi parce qu'une génération de maitres a versé dans un irénique relativisme culturel. Mais de là à sous entendre que ceux qui croient encore à cette mission de l'école laïque sont condamnés à ne pas enseigner à leurs enfants la différence entre le bien et le mal...Voilà une conception bien réductrice de la laïcité et qui, surtout, fait l'impasse sur les échanges heureux de la République avec le monde spirituel et religieux, continue à raisonner comme si la guerre faisait encore rage entre laïcs et religieux, ou pire donne le sentiment qu'un rééquilibrage est souhaitable au profit des religions. C'est ce que peut avoir de dangereux ce concept de laïcité "positive" ou "ouverte". Car il laisse entendre que jusqu'ici elle aurait été "négative" ou "fermée", précisément ce que veulent faire croire les intégristes et fondamentalistes de tout poil, alors qu' évidemment il n'en est rien.
Surtout, poussons le raisonnement du Président jusqu'au bout. Si les instituteurs ne peuvent remplacer les curés et les pasteurs, pourquoi ne pas ajouter à la liste les imams puisque l'Islam est devenue la deuxième religion de France? Et là, ce serait remettre le doigt dans l'engrenage infernal que Sarkozy dit vouloir stopper, même quand-fort maladroitement -il laisse entendre dans ses conversations privées qu'il y a trop de musulmans en Europe (voir le récit qu'en fait JM Quatremer dans son blog). On ne peut imaginer plus mauvais signal envoyé aux populations musulmanes-ou d'origine musulmanes- qui sont déjà, particulièrement en France, scandaleusement discriminées.
Je sais bien que le but est plutôt de réaffirmer la foi dans nos valeurs pour résister au défi représenté par le choc de Islam-occident. C'est néanmoins une impasse. C'est oublié que l'ennemi ce ne sont pas les "musulmans" mais l'emprise de la religion, particulièrement de l'Islam, sur la société. C'est ne pas voir, au delà du danger du fanatisme islamique, l'espoir (pour reprendre un terme religieux) que recèle la capacité d'intégration des sociétés démocratiques, et laïques occidentales. J'en ai relevé un dernier exemple dans un reportage sur le milieu des homosexuels musulmans à Berlin, publié le jour de l'an, dans le Herald Tribune. Et le témoignage de Fatma Souad, transexuel turc de 43 ans, figure des nuits "gay" de Berlin: "Selon la partie de la ville ou je me promène, je peux recevoir un coup de poing dans la gueule parce que je suis étranger, ou parce que je suis un pédé." D'autres jeunes homosexuels originaires de Turquie avouent que si leurs parents ou leurs frères connaissaient leur vie sexuelle, ils les tueraient. Encore une fois les premières victimes du choc de civilisation sont là, dans les cabarets berlinois, mais aussi dans les universités, les journaux, les cabinets d'avocat, des pays musulmans.
Aujourd'hui, la liberté d'avoir ou non une religion, de pouvoir en changer, le respect du libre choix de ses orientations sexuelles sont mieux garanties par notre système de valeurs occidentales, symbolisé par la laïcité. Respecter la religion est une chose. Admettre qu'elle a aussi influencé nos sociétés est une évidence, comme le fait qu'elle puisse être nécessaire à un certain questionnement spirituel ou moral. Mais la laisser empiéter sur l'espace public serait une faute.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Racines chrétiennes de l'Europe, chez le pape : il manque à l'instit' laïque le sacrifice de sa vie (et rebelotte en Arabie Saoudite !), le nucléaire à Khadafi (qui ne reconnait pas Israël, d'ailleurs), après avoir été le "candidat du pouvoir d'achat", il estime maintenant qu'il ne faut pas se focaliser sur... le pouvoir d'achat alors que c'est la première préoccupation des français, il propose aux français de travailler plus mais rien ne dit qu'ils gagneront plus, véritable démantèlement du service public (car les réductions d'effectifs se font sans stratégie claire), diversion permanente (même PPDA l'avoue), mise en scène de sa vie privée pour parachever cette diversion, intimidation des journalistes de gauches,... Je répète que Sarko n'est certainement pas blairiste, et il est dangereux.
Samuel A.