Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

03 janvier 2009

Gaza: la deuxième mort de Samuel Huntington?

Et si la guerre d'Israël contre le Hamas était le premier conflit post-"choc des civilisations"?

Je m'explique: Dans sa fameuse théorie, le Pr Samuel Huntington-décédé la semaine dernière- nous avait expliqué que, conséquence principale de la fin de la guerre froide, les conflits idéologiques étaient condamnés à disparaitre dans un monde transformé et determiné par des chocs entre civilisations, au nom de valeurs culturelles et religieuses rivales.
C'est ainsi, par exemple, qu'en vertu de cette théorie un immigré musulman, même vivant dans une démocratie occidentale, et parvenu à une certaine aisance matérielle se sentirait toujours solidaire de la souffrance d'autres musulmans, y compris lorsque ceux-ci se battent au nom de convictions politiques étrangères. Huntington en tirait la conclusion que chaque civilisation devait rester tranquilement chez elle et surtout bien se garder de toute prétention à exporter ses propres valeurs. Ainsi, contrairement à ce que croient ceux qui ne l'ont pas lu, Huntington était un farouche adversaire de la guerre en Irak menée au nom d'une supposée universalité des principes démocratiques (et d'interêts moins avouables). Cette théorie avait, et conserve une certaine pertinence. Mais elle a aussi, fort heureusement ses limites.
La guerre de Gaza en fourni une démonstration éclatante.

La première limite est géopolitique: lorsque la "civilisation" d'en face est située à seulement quelques kilomètres de vos centres urbains et que vous êtes à portée de ses roquettes artisanales, la dissuasion n'opère plus et il est difficile de rester très longtemps sans rien faire, surtout si vous êtes une démocratie et que les élections approchent.

L'autre limite est plus substantielle dans la mesure où elle remet en cause le coeur de la théorie: Des conflits continuent d'exister au sein d'une même civilisation, et sont parfois d'une bien plus terrible cruauté.
Huntington n'était pas assez sôt pour ne pas avoir vu et analysé l'antagonisme entre l'Islam sunnite et l'Islam chiite, il n'en avait pour autant pas mesuré le caractère irreductible.

Ainsi, dans notre affaire, les régimes arabes sunnites se sont-ils facilement consolés de leur impuissance à faire cesser ce qu'ils ont dénoncé comme "l'agression barbare" d'Israël, pour la bonne raison qu'il y a bien longtemps que l'Iran a remplacé Israël comme menace qu'ils craignent le plus dans la région. Et l'Iran est devenu le protecteur du Hamas palestinien. Plus frappant encore que le silence de l'Arabie Saoudite, les déclarations explicites de la diplomatie egyptienne rejetant sur le Hamas la responsabilité de l'affrontement pour avoir posé des conditions irréalistes et inacceptables à la reconduction de la trève (et pour avoir osé soumettre ces conditions à l'Egypte comme médiateur). Dans un premier temps, l'Iran, son alliance avec la Syrie et le Hezbollah libanais, semblait se contenter d'incarner le leadership de l'Islam chiite. En décidant de soutenir le Hamas palestinien, il défiait à la fois l'Autorité Palestinienne, mais aussi l'Egypte voisine qui se sent menacée par cette branche des Frères Musulmans et la monarchie Saoudite qui craint d'être un jour renversée par ces intégristes à vocation "sociale" qui ne manquent aucune occasion de dénoncer la corruption de leur régime. L'incompétence des Américains en Irak, l'enlisement en Afghanistan ont définitivement conféré à Téhéran un rôle d'indispensable pivot régional (le fameux "croissant chiite"), statut conforté par l'avancement inéluctable de son programme nucléaire.

Mais le plus extraordinaire est l'appui apporté au grand jour par le Fatah à l'opération "plomb durci". Non seulement Mahmoud Abbas a été le premier à affirmer que le Hamas avait provoqué Israël, mais la police palestinienne a fait ce qu'aucune autre police dans le monde n'avait osé faire: intervenir brutalement-en Cisjordanie- pour disperser les manifestations de solidarité avec les frères bombardés de Gaza, et ce d'autant plus durement que les protestataires brandissaient des bannières vertes du Hamas.
Entre les frères ennemis palestiniens, les choses sont allées trop loin et toute réconciliation parait impossible.
De surcroit, dès le premier jour du conflit, il est apparu que le Hezbollah n'avait pas les moyens d'ouvrir un nouveau front au Nord contre Israël pour soulager les souffrances des gazaouis. Et ce pour des raisons plus politiques que militaires. La priorité du Hezbollah est aujourd'hui de montrer qu'il obéi d'abord aux interêts nationaux du Liban avant de raisonner en "proxy" de l'Iran. Par conséquent, les reproches de Nasrallah et d'Ahmadinedjad contre les régimes arabes "complices de l'entité sioniste" restant sans effet, il était clair que Téhéran était en situation de faiblesse, et qu'il fallait en profiter.

Tout se passe donc comme si l'Egypte et l'Autorité Palestinienne avaient décidé de laisser à Israël le temps nécessaire pour écraser le Hamas à Gaza, dans le but d'y réinstaller l'autorité d'Abbas, et de réunifier les deux Palestine. C'est d'ailleurs le plan de Moubarak qui a clairement indiqué qu'il n'accepterait la réouverture de la frontière sud de Gaza qu'à condition que l'Autorité Palestinienne y revienne. Renverser le Hamas, humilier les frères musulmans et donner une leçon à l'Iran sont des raisons suffisantes pour voire émerger cet axe en apparence insolite Jerusalem-Le Caïre-Ramallah.
Reste que la validité de ce scénario n'est pas encore prouvé. D'abord parce qu'Israël (dont les dirigeants sont divisés sur l'objectif) cherche toujours un moyen d'éviter une guerre totale contre le Hamas. Jérusalem se contenterait de pouvoir dicter les conditions d'une nouvelle trève de long terme: Cessation totale des tirs de roquettes et mécanisme d'application international du cessez-le-feu.
Ensuite, parce que les capacités de resistance du Hamas dans un combat de rue avec Tsahal restent inconnues et que l'issue peut s'avérer aussi incertaine qu'en 2006 au Liban. Pour Israël, comme pour ses alliés, une demie victoire serait catastrophique car le Hamas et sa propagande en ferait certainement un triomphe.
Mais admettons que l'Autorité Palestinienne reprenne le contrôle de Gaza dans pareilles circonstances. Sa "complicité" avec Israël serait flagrante et a priori source de contestation pour Abbas. A moins que...Et ce serait de loin le meilleur scenario...A moins que, profitant de sa victoire totale et de la restauration de son partenaire et allié dans l'ensemble des territoires palestiniens, Israël ne montre immédiatement qu'une ère nouvelle commence, c'est à dire qu'il lève aussitôt le blocus de Gaza, mais aussi qu'il accélère la transmission de la sécurité en Cisjordanie au Fatah, libère massivement les prisonniers palestiniens, évacue les colonies avancées et s'implique cette fois sans arrières-pensées dans de réelles négociations sur le statut final des territoires. C'est bien le moins que pourrait espérer Abbas en remerciement de son coup de main, et qui serait seul en mesure de restaurer quelque peu son prestige. C'est ce qu'il attend désespérement et qu'Israël lui refuse depuis quatre ans...à la grande satisfaction du Hamas.