Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

22 mai 2009

De la race en Israël (et aussi de la démocratie)

Déjeuner sur l'herbe, et sous les palmiers, à l'université de Tel Aviv, en marge du colloque "Géopolitique d'Israël". Le directeur du département des études moyen-orientales, Uzi Rabi, parfaitement arabophone (ses parents sont des juifs irakiens), s'inquiète de l'indifférence des jeunes israéliens envers la langue et la culture arabes. Il estime qu'un enseignement de base de ces matières devrait être obligatoire dès l'école primaire. Israël est bien un pays du Moyen-Orient et qui se pense et vit ainsi. Il est étrange, en effet, qu'il n'y ait pas davantage de curiosité pour la culture et la façon de penser de "l'autre". Ne serait-ce que, pour ceux qui détestent les Arabes, afin de mieux comprendre "l'ennemi". Notre ami Uzi s'en navre, mais sa propre fille lui a récement témoigné son dégoût- très trivialement, c'est une ado- lorsqu'il a tenté de la convaincre qu'elle tirerait profit à apprendre la langue de ses grands-parents: "ihhh..."(en hébreu dans le texte).  A l'image de nombreux juifs ayant dû fuir les pays arabes, Israël fait un blocage sur une question pourtant essentielle pour son avenir. Il est permis d'y voir un signe de son manque de confiance dans la paix. Autrement, le pays préparerait les futures générations à vendre le high tech et l'agriculture israélienne dans les pays de la région. Je constate moi-même-et je le regrette- que mes parents, nés en Egypte, ne se sont jamais soucié de nous apprendre l'Arabe. C'était "leur" langue, quand ils ne voulaient pas que les enfants comprennent. Et puis à quoi bon? Puisque les Arabes ne voulaient plus des Juifs, fallait-il vraiment ennuyer les enfants avec ça? A l'inverse, un autre participant à ce même même déjeuner, note que les Palestiniens connaissent, eux, parfaitement les israéliens, leur culture et bien sûr leur langue. Incomparable avantage qui pourrait bien se transformer, un jour, en supériorité.

En ce moment les Israéliens, comme toujours, ont plusieurs sources d'inquiétudes. La principale, c'est bien sûr la bombe iranienne. Netanyahou a évoqué la menace d'un "nouvel holocauste", alimentant la psychose déclenchée par Ahmadinejad. Même ceux qui n'y croient pas vraiment, comme Uzi-spécialiste des mondes arabe et perse-, se disent qu'il ne faut peut-être pas prendre le moindre risque. Il espère qu'une guerre peut encore être évitée, qu'on en restera à un affrontement rhétorique. Juste après- et bien avant le conflit avec les palestiniens- l'inquiétude des juifs israéliens porte sur la loyauté de leurs "concitoyens" arabes( 20% environ de la population). Durant la campagne électorale, Lieberman a soufflé sur les braises en incriminant leur manque de loyauté. Il faut dire qu'il pouvait s'appuyer sur des déclarations indendiaires et irresponsables de certains députés arabes, ouvertement pro-Hezbollah. La situation des Arabes israéliens a toujours été très difficile, même si leur niveau de vie est incomparablement plus élevé que dans n'importe quel autre pays de la région, s'il y a des programmes de bourses pour favoriser l' accès de leurs enfants à l'université. Incontestablement, la nouvelle génération se sent de plus en plus "palestinienne". Concitoyens, mais nullement compatriotes: Le drapeau, l'armée, les fêtes, ils ne se sentent concernés par rien de celà. Un jour ou l'autre la question de leur loyauté devait bien finir par être posée. Le fallait-il pour autant? Fallait-il, comme l'a fait Lieberman entailler dans le politiquement correct? Je crois que c'était une grave erreur, car celà ne fait qu'alimenter le racisme.

Oui, bien sûr, il y a du racisme en Israël, de plus en plus même. Il y en a encore entre ashkenazes et sépharades, mais surtout, évidement, entre Juifs et Arabes. Dans les deux sens d'ailleurs, mais les Arabes étant minoritaires, ce sont eux qui en souffrent le plus. Exemple? Ma cousine Smadar qui a créé une société d'évènements a du se battre pour employer Bassam, son électricien arabe de Yafo (Jaffa). Quand elle prononce son nom, ses clients tordent le nez, s'étonnent ouvertement même. Elle s'en fout, elle impose. Il n'y a pas d'autre chose à faire. Dans Haaretz, un sondage inquiétant montre que près d'un Arabe citoyen israélien sur deux nie la Shoah. L'article explique que cette position ne doit toutefois pas être prise au pied de la lettre. Pour beaucoup de personnes interrogées, admettre cet évènement, c'est légitimer l'existence même de l'Etat Juif qui, à leurs yeux n'a été créé que pour réparer la faute et racheter la mauvaise conscience des Européens qui ont laissé les Juifs se faire massacrer. Les Arabes ne veulent pas vivre dans un "Etat Juif", même démocratique. Car pour eux, il ne sera jamais assez démocratique et toujours trop "Juif", c'est l'évidence. C'est pourquoi cette question de la loyauté n'aurait jamais du devenir un enjeu politique, et pourquoi Lieberman est un dangereux apprenti sorcier.

Mais attention, ne déduisez pas de ce qui précède  qu'Israël est, comme le clame le président iranien, un  "pays raciste". Israël est une véritable société multiraciale, ou paradoxalement le poids des Juifs diminue, au profit d'une nouvelle catégorie d'Israéliens dont la religion n'est plus qu'un élément secondaire de l'identité. Je m'explique: On croise maintenant les premiers Israéliens "sabra" d'origine philippine ou thaïlandaise. Parfois issus de mariages mixtes, ils sont en âge de servir dans l'armée. Ils ajoutent une note orientale dans cet extraordinaire melting pot. Mais les guerres, les intifadas et le terrorisme ont bien sûr alimenté les préjugés à l'encontre des Arabes. C'est pourquoi les Russes,  ou les asiatiques que les Israéliens ont fait venir pour remplacer la main d'oeuvre palestinienne sont beaucoup mieux acceptés et insérés, alors que bien souvent ils ne sont pas même Juifs. En revanche, les Ethiopiens, bien que souvent des Juifs très pieux, font toujours l'objet de discriminations révoltantes. En plus, ils ne se plaignent même pas. L'élection d'Obama fera peut-être qu'on commencera à les voir autrement que comme des noirs, mais je n'y crois pas. C'est le paradoxe: Israël, Etat Juif commence à ressembler pour le meilleur et pour le pire à un Etat comme un autre, "post-sioniste", d'une certaine façon. Certains Juifs y sont davantage victimes de racisme et de discriminations que d'autres citoyens "blancs", mais dont la judéité peut-être discutée.

Revenons aux Arabes. Il y a des choses dont on ne parle pas. Par exemple du fait que des familles de la classe moyenne commencent à acheter des appartements dans des quartiers de Jérusalem Ouest. Parce qu'ils en ont les moyens et qu'ils sont plus confortables. Un haut responsable au sein du gouvernement m'a aussi assuré que certains Arabes de Jérusalem Est s'étaient installés récement à Maale Adoumim, cette "colonie" située de l'autre côté de la ligne verte, mais du "bon" coté du mur, dans laquelle l'Etat continue de construire à grande vitesse des logements dans le but de créer une situation irreversible rendant impossible un partage de Jérusalem. Il y a quelques années, il ne serait même pas venu à l'idée d'un père de famille arabe de venir habiter dans un quartier juif. Faut-il y voir un bon signe, celui d'une coexistence enfin assumée, recherchée même? Ou bien, au contraire, la mise en oeuvre d'une stratégie subreptice d'étouffement par utilisation de la "bombe D" (Démographie).

Les vrais sionistes (paradoxalement de gauche, le plus souvent ) n'utilisent plus le terme de "coexistence". C'était leur rêve. Désormais ils laissent ce terme à la droite (qui ne se rend pas compte à quel point le retardement de la création d'Etat palestinien menace l'Etat Juif et prépare le futur d'un Etat "bi-national"). La gauche préfère parler de "divorce". Seul un divorce permettra en effet de préserver le rêve sioniste de l'autodetermination des Juifs dans une Nation ou ils sont majoritaires et souverains. Cela n'a rien à voir avec du racisme. Car seul ce divorce permettra aussi que la minorité arabe israélienne soit respectée dans ses droits, et le soit encore mieux. Sa situation n'est pas idéale, mais au moins est-il resté des Arabes dans l'Etat Juif, alors que les Juifs, eux, ont disparu dans les pays Arabes. Différence de taille,'est-ce-pas? Non seulement ils sont demeurés, mais, malgré les discriminations, ils jouissent de tous les droits politiques et disposent de députés à la Knesseth, ces fameux boutefeux qui fricotent avec l'ennemi. Mais il y a mieux encore: le président du tribunal devant lequel comparait en ce moment l'ancien chef de l'Etat Moshé Katsav pour harcèlement sexuel et viol, George Kara, est un Arabe chrétien. Un homme très réputé pour sa droiture et son courage: il a dejà affronté les principaux responsables de la mafia israélienne. Vous connaissez beaucoup d'autres pays, supposés "racistes", qui auraient laissé juger un de leurs anciens Président par un magistrat arabe? Les défenseurs de Katsav eux même ne s'en sont pas ému, ni alarmé: ils ont seulement protesté et cherché à récuser le tribunal parce que les deux assesseurs de Kara sont... des femmes! Toujours des préjugés...