Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

28 juin 2005

Nettoyage, n.m.



Vive controverse entre les chroniqueurs d' "On refait le monde", la semaine dernière au sujet de l'emploi par Nicolas Sarkozy du mot "nettoyer". Nettoyer la Courneuve, des voyous qui règlent leurs comptes à coups de flingues sans s'apercevoir que des gosses de onze ans sont là au milieu, quelle idée les morveux, à nettoyer justement la voiture de leur papa, pour leur fête.
Nous avons été mis en minorité, ceux d'entre nous qui avons déclaré ne pas être choqués par l'emploi de ce terme, mais plutôt par l'absence de résultat dans le nettoyage, au "karsher" pourtant. Et pour cause puisque Sarkozy avait envoyé un faire-part de descente aux voyous... Pouvait pas se taire avant d'envoyer les flics? C'est encore la preuve qu' il tient davantage à l'effet d'annonce et aux conséquences sur sa propre image qu'aux résultats, notre sauveur de dans deux ans. Putain, deux ans...
Oui, la majorité de mes confrères estimaient fâcheux ce terme, ou plutôt facho, Cabannes (l'Huma) m'a dit que je parlais comme le FN, puis s'est excusé. Bon c'est la loi du genre, on est là pour polémiquer, alors parfois on va trop loin. Faut pas se formaliser, mais quand même ça m'a énervé.
La discussion s'est même prolongée jusqu'à notre dîner de fin d'année. "
Nettoyer, m'a-t-on dit, c'est trop connoté, ça rappelle trop de mauvais souvenirs. " Quoi? On n'a plus le droit de nettoyer? Je vire ma femme de ménage? Les nettoyages à sec vont bientôt disparaître? La propreté des rues aussi? Non bien sûr, c'est quand ça s'adresse à des banlieues peuplées d'Arabes qu'il ne faut pas dire qu'on va nettoyer. Chez eux ça doit rester sale. Pourquoi? Parce que ça rappelle le langage de la guerre d'Algérie. c'est encore frais ce qu'on leur a fait. Le nettoyage ethnique, aussi. Alors là, j'ai dit, vous n'avez pas compris, c'est pas les habitants qu'il veut nettoyer, Sarkozy, c'est les voyous! Ils doivent être d'accord les habitants, j'imagine. C'est leurs enfants qui crêvent! A moins que vous pensiez qu'ils ont moins droit à la sécurité que les administrés de Sarko à Neuilly?
Il paraît que des gens qui m'entendent trouvent que j'ai viré sarkozyste. Je les rassure. ce n'est que son discours que j'approuve pas son action. Et encore, pas tout son discours. J'aurais envie de critiquer davantage ses propos sur la religion (voir "Tableau d'honneur gouvernemental"), ou bien sa scandaleuse transgression de la séparation des pouvoirs, lorsqu'il demande de sanctionner un magistrat qui a appliqué la loi en remettant en liberté un récidiviste. Aujourd'hui, je me dis simplement que la gauche n'a absolument rien compris à ce qui lui est arrivé le 21 avril 2002. Pourtant elle avait semblé faire son aggiornamento, sous l'influence de Julien Dray, de Bruno Le Roux et de quelques autres, en observant que puisque l'insécurité frappait d'abord les plus fragiles économiquement, ce devait devenir une priorité de la gauche. Mais voilà, depuis ce sont les gauchistes, type Besancenot, qui disent le Bien à Gauche. Ils préfèrent brosser l'électorat fonctionnaire dans le sens du poil que l'électorat populaire. Tant qu'il en ira ainsi il n'y aura pas de Tony Blair français. Et les même causes produiront les mêmes effets.
Ce que je crains, c'est que dans cette affaire aussi, la gauche bien pensante, celle du Mrap et de la ligue des droits de l'homme, celle des "indigènes de la République", n'estime que les voyous des banlieues sont des victimes de la société post-coloniale raciste et ultra-libérale et que le Karsher, dans leur cas, soit un outrage de plus. Il y a même quelqu'un qui m'a dit: "
Karsher, c'est connoté ça aussi, ça sonne comme Kasher". Oulala...

PS: au sujet de l'imam de Vénissieux, ("Peut-on juger le Coran?") une lectrice -que je crois bien connaître- fait observer que l'imam aurait du être jugé depuis bien longtemps pour polygamie. Elle a bien raison de rappeler ce point sur lequel j'aurais du insister. Quand à Ivan Riouffol,
dans Le Figaro, il fait bien de rappeler le cas de Louis Chagnon ce prof d'Histoire scandaleusement sanctionné et condamné pour avoir fait une description historiquement juste mais sévère de Mahomet, insupportable pour les musulmans, et le Mrap qui l'avait poursuivi. Les juges ont estimé qu'il avait moins d'excuses qu'un imam inculte qui dit que le Coran permet aux hommes de battre leur(s) femme(s).

23 juin 2005

Peut-on juger le Coran?



La relaxe de l'imam salafiste de Vénissieux est choquante, insultante. Comme si la justice ne trouvait rien de répréhensible à ses propos sur les femmes, et qu'au moins de manière tacite elle laissait libre les musulmans de croire qu'au nom de leur foi, il avaient le droit de battre leur femme. De croire, car bien sûr s'il venait à l'un d'eux l'idée de passer à l'acte, et si par extraordinaire son épouse se plaignait devant la justice, il subirait évidement les foudres de la loi française.
En réalité, cette affaire souligne la difficulté de plus en plus grande, pour les juges, de qualifier ces délits "d'opinion". On l'a déjà vu ça avec les démêlés de Dieudonné et de Le Pen, pour antisémitisme. Sauf quand l'injure, l'incitation à la haine raciale, à la discrimination sexuelle, la diffamation, l'homophobie, sont au premier degré, il est toujours plus facile pour les magistrats de ne pas sembler prendre partie dans des controverses politiques, pire, de paraître porter des jugements de valeurs sur des convictions religieuses.
Dans le cas de l'imam Bouziane, le problème ce n'est pas ce qu'il dit, c'est que le Coran le dise!
En effet, Il n'a fait, très exactement, que dire ce qui est écrit noir sur blanc dans le Coran. Or il est déjà très difficile, voire même impossible, pour un journaliste de porter publiquement un jugement sur ce texte sacré, intouchable aux yeux des musulmans, surtout par un "impur",
sans s'exposer à l'épithète infamante "d'islamophobe", alors imaginez pour un juge! La seule chose qui restera de ce jugement c'est que les magistrats se sont ridiculisés, en particulier lorsqu'ls estiment benoitement que: "Cet homme de religion s'est limité à expliquer ce que dit sa religion au travers du Coran. "puis, plus loin: "Evidemment, ce n'est pas l'Islam des lumières, mais le tribunal n'a pas à entrer dans ces considérations." (!) Ah! l'Islam des lumières! Malheureusement on ne sent pas une énorme nostalgie de cet Islam là dans le monde musulman contemporain...
Sur de nombreux points, le Coran est en contradiction flagrante avec nos valeurs républicaines, ou simplement démocratiques. Il n'est pas le seul texte religieux dans ce cas. On pourrait en dire autant de certains passage de la Thora, l'ancien testament, qui n'est pas un chef d'oeuvre de tolérance! Les évangiles passeraient, eux, plutôt mieux l'examen de conformité démocratique, puisqu'il s'agit d'un texte "libérateur", assez révolutionnaire en fait, on dirait aujourd'hui qu'il est d'inspiration "progressiste".
Mais la grande différence entre la Thora et le Coran, c'est que je connais peu de Juifs qui entendent l'appliquer à la lettre, l'imposer aux non-croyants, à part peut-être quelques ultra-orthodoxes en Israël. C'est d'ailleurs un problème de plus en plus sérieux pour les laïcs en Israël. Or on le sait, le problème de l'Islam, travaillé par l'intégrisme, en particulier par sa version salafiste, c'est qu'il croit à la supériorité du Coran sur tout autre constitution civile, que le retour à l'interprétation littérale est, pour lui, seule à même de rendre aux Musulmans leur dignité et à la "Oumma" sa gloire passée, qu'il ne fait aucune séparation entre le religieux et le politique, le domaine public et le domaine privé.
Il faut maintenant se faire une raison: l'imam relaxé va très certainement rentrer en France, blanchi. Il était de toute manière difficile d'empêcher un homme de revoir ses enfants qui sont, eux, Français et qui n'ont pas les moyens d'aller le voir en Algérie. Surtout qu'il a d'ores et déjà annoncé qu'il se tiendrait désormais éloigné de la mosquée pour ne pas faire de vagues. L'expulsion qui pouvait être justifiée sous le coup de l'émotion suscitée par les propos de Bouziane, n'est pas ici la sanction qui convient dans le temps. Demain, si un imam français tient des propos du même tonneau, où l'expulsera-t-on? Que l'on me comprenne bien, contrairement à la Ligue des Droits de l'Homme, je ne tiens pas cet imam pour une "victime", je pense simplement que nous faisons fausse route si nous croyons que la réponse est d'ordre judiciaire.
Oui mais alors, direz-vous, quelle sanction?
Seule la sanction politique et morale est appropriée.
C'est d'abord- Sarkozy a raison sur ce point- à l'Islam français de se prononcer clairement sur ces affaires dans lesquelles le Coran contredit les principes laïcs, au delà même du cas de Bouziane, ce qu'il n'a pas fait, en tout cas pas assez nettement. C'est à l'Islam français de montrer qu'il se "dissout" dans la République. Toutes les autres religions ont du passer sous cette toise. Or, aujourd'hui, il existe beaucoup trop de courants de pensée dans l'Islam de France qui entendent, au contraire faire céder la République.
C'est à nous, enfin, de poser la question de la compatibilité de l'Islam avec la démocratie, des conditions de son intégration dans le projet européen. Or ce débat est systématiquement escamoté, par peur des conséquences, exactement comme l'on escamoté les juges dans l'affaire Bouziane, parce qu'ils ne sont que le reflet de la société dans laquelle il vivent. On ne peut leur faire supporter les conséquences d'un manque de courage politique.
D'un point de vue strictement juridique, en tout cas, les juges étaient obligés de constater que les propos litigieux n'avaient pas été tenus spontanément mais avaient été sollicités, que l'imam avait pris soin de faire la différence entre ce que dit le Coran et ce que dit la loi française, qu'il n'avait pas bien compris le sens du mot "lapidation" ( le journaliste lui avait dit qu'il signifiait "battre sa femme") et que, de surcroît, ses propos n'avaient été retranscrits ni intégralement, ni littéralement. Comme chacun a pu constater qu'il s'agissait d'un homme frustre, il était facile de conclure qu'il était tombé dans un traquenard journalistique. Encore une fois il est injuste de faire peser sur un homme ce que l'on peut et doit reprocher au Coran. Mais, de nouveau, peut-on juger le Coran?

22 juin 2005

Tableau d'honneur gouvernemental

"La France vit au dessus de ses moyens". Voilà enfin un ministre, Thierry Breton, qui se décide à dire la vérité aux Français. Je suis surpris que dès le lendemain, cette vraie-fausse révélation ne fasse déjà plus les gros titres, ne suscite pas aussitôt un grand débat, comme si, au fond ce n'était pas grave.
Que nous dit Breton? Tout simplement que nos impôts, tous nos impôts, ne servent plus qu'à une seule chose: rembourser les intérêts de la dette des administrations. Celle-ci représente, plus de mille milliards d'euros, près de 40000 euros par actif!
Et une fois cela fait comment fait-on pour financer les investissements publics, payer les fonctionnaires etc? On fait de nouveaux emprunts, évidement! Ce qui fait qu'à ce rythme là, la dette doublera tous les cinq ans. Combien de temps pensez-vous que cela peut durer? Quel père (ou mère) de famille pourrait ad vitam eternam se montrer aussi impécunieux, faisant reposer sur les générations futures, sur nos enfants, le poids de ses inconduites. Et dire qu'hier encore j'ai entendu, une sénatrice communiste, Mme Beaufils, dénoncer la libéralisation du fret ferroviaire et demander que l'Etat finance le "service public" SNCF. Mais en quoi le transport de marchandise est-il un service public?
Nous faisons tous partie de la "copropriété" France. Si notre syndic dilapidait nos charges et s'endettait sur notre dos, nous ferions vite en sorte de le virer non? Bravo en tout cas M. Breton!



Je ne tresserais pas autant de lauriers à Nicolas Sarkozy, notre sauveur de 2007. Au moment où Breton nous affirme qu'il n'y a pas de miracle et que l'on ne peut pas changer l'eau en vin, je me demande si "Sarko" n'a pas tendance à se prendre de plus en plus pour Jésus?
Non content de vouloir "nettoyer" la Courneuve (chiche! Hier lors de sa première "descente" la police a fait chou blanc.), le ministre de cultes à réuni des religieux et les a invité à se faire davantage entendre dans le débat public. Pourquoi pas? Là ou l'on peut s'inquiéter c'est lorsque Sarkozy a récusé la distinction entre sphère publique et sphère privée, qui est le mal dont souffre l'Islam: "
Il n'y a pas deux vies. Comme si la part de soi la plus intime et la plus intéressante, il fallait l'abandonner jusqu'au samedi matin et au dimanche soir inclus. Le domaine de vie privée n'a pas de sens. C'est le domaine de la vie tout court." un ministre a des journée de 20 heures et n'a pas de week-end mais tout de même! Drôle de conception de la laïcité. Mais il est vrai que son dernier livre, "La République, les religions, l'espérance", d'entretiens avec le père dominicain Philippe Verdin était déjà alarmant, tout comme la publicité donnée à Tom Cruise, devenu l'apôtre mondial de l'Eglise de Scientologie, alors que tout Hollywood s'inquiète de voir son prosélytisme gangrener les tournées de promo de l'acteur-producteur...
Les cités se meurent, le chômage, la délinquance y prolifère, et Sarko pense, lui, que c'est parce qu'il y manque surtout de la "spiritualité". Quand on connaît le rôle de certaines mosquées dans la propagation de l'islam radical, ça laisse songeur.

21 juin 2005

Le combat de Christophe Grébert

Le procès en diffamation intenté, aujourd'hui, par la mairie de Puteaux au bloggeur Christophe Grébert est une première, Clochemerle à l'heure numérique, variante moderne du "pot de fer contre le pot de terre".
Je ne sais pas si elle doit inquiéter, comme l'écrit Libération de ce matin, ou si, au contraire, elle fera date dans notre aventure collective. Toute notre solidarité va en tout cas à ce bloggeur remarquable, pionnier d'un nouveau journalisme. Grâce à Monputeaux.com, il fait ce qu'aucune presse locale n'a jamais réussi à faire: une information citoyenne, exigente, sans concession. J'y retrouve un peu ce qui fut l'esprit "d'Argent Public".
Certes, il ne cache pas qu'il est un opposant politique à la mairie UMP de Puteaux, mais quelle importance? Nous avons besoin d'une presse d'opinion qui soit en même temps une presse d'information. A condition de bien séparer les deux évidement.
Les blogs sont, fort heureusement, soumis aux mêmes textes et à la même jurisprudence que les sites internet, c'est à dire, en gros, aux lois sur la presse. Je ne sais pas si Grébert a commis des erreurs qui pourraient l'exposer à une condamnation. Mais je sais, en revanche, que les journalistes "fouineurs" seront de plus en plus soumis au harcèlement juridique des puissants auxquels ils s'attaquent, pour tenter de les faire taire.
Le magistère de la presse se craquelle, on le voit à la baisse des ventes et du lectorat qui s'explique par un manque d'intérêt de plus en plus manifeste du public pour les sujets abordés, un excès de connivence, un manque d'indépendance et aussi de proximité. Mais les bloggeurs n'ont pas encore pris le relais.
Indépendants,par définition, ils seront particulièrement vulnérables à ce type d'intimidation. Il n'est pas facile de se retrouver, tout seul, du jour au lendemain devant la 17ème chambre correctionnelle de Paris!
Nécessairement les bloggeurs-journalistes, catégorie qui est appelée à se développer, devront songer à une forme de mutuelle juridique qui conseille et assiste les auteurs en cas d'action contre eux. Malgré l'élan de solidarité de la bloggosphère, Christophe n'a pu couvrir qu'une toute petite partie de ses frais de justice, ce qui posera aussi le problème de l'indépendance financière des blogs et à terme de la publicité. Bref, les blogs vont connaître une histoire semblable à celle du développement de la presse écrite au XIXème siècle, avec les mêmes problèmes de conscience, et c'est bien ce qui est excitant! Nous n'en sommes qu'au début.

20 juin 2005

Nostalgie

Pour une fois ce sera rapide et je m'en excuse à l'avance. Les "nonistes" devront non seulement nous expliquer ou est leur fameux "plan B", mais aussi pourquoi, subitement, une grande majorité de Français regrettent le franc.
C'est une situation qui était tout à fait inimaginable avant le réferendum et qui montre que nous avons perdu beaucoup plus qu'un projet de "constitution" hautement perfectible.
Le conseil européen de Bruxelles s'est, en revanche, terminé sur la consécration des égoïsmes nationaux que des esprits plus avertis avaient prévu et une victoire britannique assez peu glorieuse.

16 juin 2005

Quand l'oncle Sam s'invite chez Molière



Parlons culture. Ce matin, sur France Culture, un dialogue passionnant avec Gérard Mortier, ancien directeur du festival de Salzbourg. Un homme qui a été confronté aux sinistres préjugés ostracisés de la clique de Haider, en Autriche. Cela rappelle un peu ce qu'à tenté de faire le FN dans le midi de la France, avec parfois des succès, comme à Orange, mais jamais avec une réussite totale car la politique culturelle est fortement centralisée en France, pour le pire, comme-c'est le cas ici- pour le meilleur.
Passionnant dialogue, car Alexandre Adler a fait observer que, de plus d'un point de vue, notre Europe actuelle semble plongée dans un climat weimarien. Y compris avec le rayonnement culturel qui fut celui de cette époque. "
seulement, un jour, on a cessé de s'amuser." nous rappelle Adler. Mortier, qui crois, lui, le concept d'Etat Nation dépassé, pense que la culture est la seule chose qui puisse fonder l'homme, le citoyen européen.
Il est vrai que Mozart ou Beethoven se sentaient plus européens qu'autrichien ou allemand et que la réalité des Etats Nations est récente (deuxième moitié du XIXème siècle). Il est vrai aussi que, l'on pourrait sans dommage excessif augmenter la part du budget européen consacré à la culture (aujourd'hui 0,4% du total avec l'Education! la seule PAC ingurgitant 40 % des dépenses.)
Mais en France, nous avons une foi sans borne, aveugle, dans "l'exception culturelle", davantage encore que dans notre modèle social. C'est désormais notre unique fierté, et nous voyons dans cette forme d'étatisation de la culture la preuve de la supériorité de notre civilisation sur celle des prosaïques (pour ne pas dire pire) anglo-saxons.
Or, je ne partage pas du tout cette vision. La culture, c'est indispensable, mais cela ne suffit pas, surtout au XXIème ou l'information et le commerce ont pris une importance aussi grande dans les rapports sociaux. La culture, pour 90% des gens se résume à la télévision, devant laquelle il passent plus de trois heures par jour. On peut ésperer faire évoluer cela, mais cela ne se fera pas en un jour. Par ailleurs une Europe du chômage est, me semble-t-il, condamnée à voir se propager le populisme et la xénophobie. La politique culturelle n'y changera rien.
Surtout, ce complexe de supériorité, très français, n'augure parfois rien de bon.
Je voudrais en donner un exemple.
Il s'agit du spectacle que donne actuellement la Comédie Française: Molière-Lully. Le projet de Jean-Marie Villegier est de jouer Molière, comme au temps du Roi Soleil, avec la musique de Jean-Baptiste Lully, interprétée par les Arts Florissants, et avec des ballets réglés par Wilfride Piollet et Jean Guizerix.
Je ne vais pas faire une critique détaillée, ce n'est pas mon métier. Il y a deux pièces, la première, la plus connue, l'Amour médecin est savoureuse, mais avec, déjà, une légère tendance à la caricature. Or avec Molière, ce n'est pas la peine d'en rajouter, sinon le burlesque n'est pas loin. Et Molière n'est pas Buster Keaton. Quand à la deuxième pièce, "Le sicilien, ou l'amour peintre", outre que la mise en scène est tout à fait consternante (on se croirait chez Philippe Bouvard), au dernier acte, le personnage incarnant la justice est représenté sous les traits d'un oncle Sam, barbe, chapeau haut de forme et manteau taillés dans la bannière étoilée. Le mari trompé et abandonné fait appel à lui pour venger son honneur. Vous voyez la subtile allusion. Le pire c'est que le public s'est mis à applaudir à tout rompre devant cette "trouvaille" de mise en scène, ne s'apercevant pas que l'on faisait appel ici à ses plus bas instincts, comme trop souvent à la télé. J'ai le regret de le dire, mais, dans un autre contexte, à la fin du XIXème siècle par exemple, on aurait fait appel au même genre d'effet, mais on se serait servi d'une caricature de Juif à papillotes. Cette forme d'anti-américanisme "culturel" a desormais la fonction qu'avait, jadis, l'antisémitisme aujourd'hui discrédité, comme disait Bernanos.

13 juin 2005

Ravissant



D'abord la joie, bien sûr. La joie simple de voir une femme, une consoeur, une condisciple du CFJ, revenir enfin de cet enfer. Ensuite voir ce beau sourire déjà si franc sur les photos que nous avions d'elle, nous qui ne la connaissions pas personnellement. Nous étions ravis de la voir de retour. Ravis nous avions été aussi pendant ces 158 jours, puisque nous avions accepté, de bonne grâce, d'être tous ensemble, la France entière prise en otage par ces bandits. Il y avait cette affiche qui le disait très bien: "leur liberté, c'est aussi la notre." Mais liberté de quoi au fait? D'informer? D'être informé? Il faudra revenir la dessus. Mais puisque nous l'avions décidé ainsi, peu importait le prix de cette libération (car évidement il y en a un), nous pouvions nous permettre de le payer, tant l'élan de solidarité fut grand. Nous sommes un grand peuple, intraitable, qui dit non,( aux américains, à la constitution), mais qui fond devant la douleur d'une compatriote et accepte le chantage crapuleux. Assumons.

En ce qui me concerne, comme beaucoup, j'ai souvent pensé au calvaire de Florence Aubenas, mais j'ai plutôt bridé mon envie de participer à cette médiatisation, ne pouvant me résoudre à contribuer à la hausse des prix de l'otage français. Je ne sais pas si j'avais raison. Je suis encore partagé. Bien sûr, Florence (puisque tout le monde l'appelle ainsi) a bien expliqué le baume que lui avait apporté TV5, lorsqu'elle fut autorisée par ses geôliers à regarder la télévision. Jean-Paul Kaufman avait dit la même chose déjà. Mais elle a aussi, en bonne journaliste, évoqué le
cynisme des ravisseurs qui exultaient, à chaque fois qu'on parlait d'elle à la télé: "C'est bon ça marche, on parle de vous!"
De tout cela, du réconfort, du cynisme, de tout nous avons été des complices plus ou moins conscients.
Le prix, je le dis, ne me gêne pas. Que valent quelques millions de dollars, comparés ne serait-ce qu'à une seule vie humaine? Mais pourquoi donc s'obstiner à nier, comme l'a fait Jean-François Copé, qu'il y ait eu "
demande de rançon." Avez-vous remarqué? Il a dit "demande", pas "versement". Parce-que le gouvernement Français ne s'est pas occupé directement de cet aspect des choses? Parce que ce sont des intermédiaires sentant fortement le pétrole qui s'en sont chargé? Possible, mais il y aura alors forcément une contrepartie, un jour ou l'autre, dont on ne nous dira rien, hélas. Et ces intermédiaires ne se contenterons sans doute pas de la Légion d'honneur...
Si l'enlèvement ne répondait pas, ou pas entièrement à des préoccupations d'ordre politique, mais était bien essentiellement d'ordre crapuleux, le prix à payer, lui, sera peut-être politique, ce qui est plus grave que de verser quelques millions de dollars à des bandits. Car ce prix-là entravera encore plus la politique étrangère de la France, dont on voit bien qu'elle ne pèse plus d'aucun poids dans cette région, hors-mis, hélas, d'un début d'expérience en matière de négociation d'otages, dont elle pourra toujours se prévaloir.
Quand à nous, journalistes, contentons nous de constater que l'information indépendante en Irak est devenue une mission réellement impossible. Le risque était devenu si grand déjà, que le gros des journalistes ne sortaient pratiquement plus de leurs hôtels à Bagdad, où ils étaient devenus de simples boites aux lettres. Les autres sont soit encadrés de telle sorte (les Américains), qu'ils ne voient plus rien, soit inconscients et se font enlever. La dernière catégorie, est, en France en voie de disparition, du fait, justement, de la valeur marchande importante du Français sur le marché de l'otage. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce mouvement national pour "Florence et Hussein" que d'avoir tué le métier d'envoyé-spécial français en Irak, au nom, bien sûr, des meilleures intentions du monde.

06 juin 2005

Le 21 avril-bis reste à venir



On n'a pas fini de mesurer les effets de la bombe à fragmentation du "non de gôche". L'élimination de Fabius de la direction du PS n'est qu'un premier épisode d'un scénario implacable décrit devant moi par René Rémond, à Tel Aviv, en marge du colloque sur Vichy (voir notes précédentes). Voici ce que disait, deux semaines avant le référendum ce pionnier, ce maître Yoda de la science politique française: "Si le Non l'emporte, je pense qu"il n'y aura pas de candidat de gauche au second tour de la prochaine élection présidentielle." Et cela, bien sûr, parce qu'il y en aura eu trop au premier tour comme ce fut le cas le 21 avril 2002.
On peut expliciter le raisonnement:

Premier cas de figure: Les militants PS se rassemblent derrière Fabius pour les faire gagner en 2007. C'est le moins probable car la victoire du non n'a absolument pas amélioré la perception qu'ont de lui les militants, ni d'ailleurs les Français, si l'on se réfère aux études qualitatives faites par les sondeurs. Mais enfin, admettons qu'à l'issu d'une intrigue de couloir dont les socialistes ont le secret, type "congrès de Metz", Fabius se trouve suffisamment d'alliés pour prendre le contrôle du parti, et se faire désigner. Il se trouvera certainement plus d' un dirigeant socialiste pour lui rendre la monnaie de sa pièce: Aubry, DSK et pourquoi pas Jospin? Ils ne voudront pas qu'on dise que "le crime a payé". Fabius a créé lui-même un précédent en s'affranchissant d'un vote interne.

Second cas de figure: Le Parti désigne un candidat de l'actuelle direction. Ce ne sera pas sans peine car elle est elle-même divisée en chapelles représentant autant d'ambitions forcenées, mais enfin, elle peut y arriver. Les socialistes s'étripent souvent, mais, jusqu'à Fabius, la ligne rouge était le respect du vote des militants. Même Rocard s'y est plié en 81, malgré sa haine envers Mitterrand. En 88, il le fit à nouveau, en échange de Matignon. Aucun de ces arrangements ne peut se faire entre Fabius et les dirigeants du PS car, a leurs yeux, l'attitude de Fabius, en contribuant grandement au succès du non a joué contre la France en même temps que contre la gauche.
De surcroît, Fabius a montré qu'il n'avait pas le même sens du sacrifice que Rocard, et surtout, aujourd'hui, aucun éléphant socialiste n'a un ascendant sur les autres: Fabius, Hollande, Aubry, DSK, Emmanuelli et même Peillon et Montebourg jouent grosso-modo dans la même catégorie, ou le pensent.
Pour toutes ces raisons, plus le fait qu'il a déjà montré le peu de cas qu'il faisait des décisions collectives de son parti, Fabius se présentera quand même. Il pensera pouvoir sortir vainqueur d'une primaire devant les Français. Emmanuelli a d'ailleurs lancé un ballon d'essai le 29 mai au soir en proposant une primaire "à l'américaine". Fabius reprendra sans doute l'idée au vol, pour que les Français, ou plus sûrement les sympathisants de gauche, se prononcent dans un scrutin préalable qui n'est pas prévu dans les statuts. La direction n'acceptera jamais, car la situation du pays ne va pas s'améliorer et bien sûr Fabius pourrait surfer sur le mécontentement des nonistes de gauche . Hollande n'acceptera d'ailleurs jamais rien venant de lui, d'ici 2007. Les couteaux sont tirés.

Je ne parle évidement pas des éternelles candidatures d'extrême-gauche (une , deux, trois, quatre? tout est possible), des candidatures de témoignages venant de toutes les bonnes volontés qui seront sûres de détenir la recette pour réconcilier la gauche et qui à l'arrivée feront 1 ou 2%. Tout cela risque bien d'être suffisant pour éliminer tous les candidats de gauche du second tour.
Evidement ce scénario n'est pas inéluctable. On peut espérer un sursaut. Mais il est quand même le plus vraisemblable. C'est encore un résultat du vote "révolutionnaire" du 29 mai. Electeurs de gauche, bravo, et préparez-vous donc à voter pour Sarkozy en 2007, contre Le Pen, Jean-Marie ou Marine.

03 juin 2005

Les deux populismes

Echange, mercredi, sur RTL, avec Denis Tillinac. Ce qui m'inquiète le plus, dis-je, dans la victoire du "Non", c'est l'apparition d'un populisme de gauche, décomplexé, qui n'hésite pas à se mélanger avec le populisme lepéniste par pur opportunisme. Tillinac reprend la balle au bond et me fait observer que cette évolution n'est pas nouvelle. Il invoque l'antisémitisme de l'extrême gauche à travers le soutien romantique à la cause palestinienne. (écoutez l'émission du 1er Juin) Ce que Luc Rozensweig appelle justement dans son pamphlet "Lettre à mes amis pro-palestiniens" (Doc en stock, La Martinière), "la propalestine", territoire mental ayant particulièrement élu domicile en France (Voir l'épisode de la mort d'Arafat, veillé tel un saint) et qui empêche la Palestine, Etat-Nation, de voir le jour.
Je n'avais pas pensé à faire ce lien mais, plus j'y pense, plus il me semble pertinent. Les amis de cette "propalestine", que l'on trouve aussi bien au PS, au PCF, chez les verts, à la LCR... qu'au Front National, ont voté Non. En dignes émules de Jean Genet, ils n'aiment rien tant que le palestinien mort, si possible supplicié par un soldat Juif, qu'ils peuvent d'autant mieux nazifier. Que les palestiniens, dans un futur compromis (quelle horreur!) puissent un jour se prendre en charge, en fondant un Etat ne les intéresse guère. Ce qu'ils aiment dans la cause palestinienne-ce qu'ils aimaient plutôt avec Arafat, car on voit bien que Mahmoud Abbas avec sa civilité les laisse complètement froid-c'est justement le mythe révolutionnaire "néo-guevariste" qu'elle est capable de charrier, quand ce n'est pas tout simplement la possibilité d'exprimer un antisémitisme vertueux car habillé d'antisionisme "droit-de-l'hommiste".
Et j'entrevois là ce que je m'évertuais à expliquer lors de la parution de mon livre sur l'antisémitisme: Ce n'est pas une affaire qui ne concerne que les Juifs. Qu'une telle résurgence se manifeste aujourd'hui en dit long sur la décomposition de notre démocratie, et préfigure une nouvelle montée des périls en Europe. Elle doit nous alerter plus que jamais sur le risque totalitaire qu'elle porte en germe. Cela d'autant plus que les démocrates, indécrottablement corrompus, et/ou seulement intéressés par la préservation de leur prébendes républicaines (qui croit encore à la "nouvelle impulsion"?), se montrent prisonniers de leur démagogie.
Après Jean-Marie Colombani, dans Le Monde, Serge July dans Libération, et Elisabeth Schemla dans "Proche-Orient Info" qui ont eux aussi- et courageusement car à contre-courant de leur lectorat- alerté sur les relents de "moisi" (Schemla), voire de xénophobie (July), contenus dans ce "Non", ce propos va certainement me valoir des injures de la part d'électeurs du Non qui ne supporteront pas d'être ainsi assimilés à des antisémites. (voir les réactions à l'edito d'Elisabeth Schemla,)
Je dis tout de suite que tel n'est évidement pas mon intention. Je ne croit pas qu'ils en soient conscient et ne porte aucun jugement sur leur vote. Leurs raisons de voter Non étaient souvent respectables, qu'il s'agisse de la volonté de sanctionner le principal responsable de l'état de la France, Jacques Chirac, de la précarité qu'ils subissent, de leurs critiques contre la politique économique menée en Europe, du déficit démocratique ayant entouré l'élargissement, de la crainte de voire entrer la Turquie, du mépris de plus en plus intolérable des élites politiques envers le peuple etc...Je partage même la plupart de ces inquiétudes. Je pense seulement que ces électeurs n'ont pas compris qu'ils étaient instrumentalisés par des cyniques (Fabius), ou par des nostalgiques de la terreur révolutionnaire (je rappelle que quelqu'un comme Mélenchon, qui n'a que mépris pour la gauche de Jaurès et de Blum, trop ploutocratique à ses yeux, se réclame sans vergogne de Robespierre et de Saint-Just!) Or, je le répète, si je crois que nous sommes naturellement immunisés contre le lepénisme, nous le sommes en revanche beaucoup moins contre ce néo-poujadisme de gauche, sautillant et festif, prometteur de lendemains qui chantent, et qui s'est déjà illustré, le soir des résultats, par un antiparlementarisme échevelé (Emmanuelli) qui, s'il avait émané de Le Pen, aurait entraîné des protestations scandalisées de nos belles âmes françaises.
Les artisans politiques du "Non de gauche" (je fais la différence avec leurs électeurs) ont bien réussi leur coup en stoppant net la construction européenne au point que l'on spécule déjà sur un éclatement de l'Euro. On attend avec intérêt leurs propositions pour nous sortir de là, mis à part l'exportation des faillites françaises.
L'art de la politique, en démocratie, consiste à agréger des voix dont les motivations peuvent être bien différentes, pour, en principe, guider le peuple. On peut le faire en le respectant, en lui disant la vérité et en lui rendant des comptes. On peut aussi l'abuser en jouant sur ses impatiences, sur sa souffrance, par simple goût du pouvoir. C'est alors que les loups sont en embuscade.