Chirac mis en examen pour détournement de fond. Cela n'émeut personne tant Chirac, cela parait déjà du passé. Au passage, la dégringolade physique de l'homme fait peine à voir. Sur les quelques images prises de lui ces derniers mois, il marche comme un vieillard.
95 est donc la préhistoire.
Il y a de nombreuses raisons pertinentes qui expliquent que le conflit de 2007 ne ressemble en rien à celui de 1995. Laissons de côté la saison des grèves, novembre ici, décembre il y a douze ans.
Il y a bien sûr le fait que la société, le monde a énormément changé (la mondialisation est un phénomène assez bien intégré en général, même si certains Français ont encore du mal à s'y faire). Les Allemands-pour prendre un cas proche de nous- ont repoussé l'age de la retraite à 67 ans et, il faut le souligner, outre-Rhin les fonctionnaires n'ont pas le droit de grève.Chez nous, les régimes de retraite du privé et aussi de la fonction publique ont déjà été en partie réformés et la durée du travail allongée. Le bilan des 35 heures est considéré comme globalement négatif pour les salariés modestes. Tout cela, plus l'exceptionnelle victoire de Sarkozy (en terme de mobilisation et de score) explique que l'opinion ne sympathise plus avec les cheminots sur lesquels le conflit se polarise puisqu'ils ont, en théorie, la possibilité de "paralyser" le pays.
Or justement, contrairement à ce que l'on lit ici ou là, et en particulier dans la presse étrangère, il n'y a ni "blocage", et encore moins paralysie du pays. Tout juste un ralentissement, qui a un coût on y reviendra, mais en tout cas rien à voir avec le chaos de décembre 95.
La principale perturbation se situe dans les transports régionaux pour aller travailler et rentrer chez soi le soir. Les autres déplacements peuvent encore se faire en avion, et au bout de quelques jours il y avait à nouveau quelques TGV. Le Thalys et l'Eurostar ont fonctionné tout à fait normalement, conduits par des Belges ou des Anglais, merci l'Europe.
Les salariés se sont donc organisés, au prix de quelques jours de RTT (qui n'existaient pas en 95...), avec un peu de co-voiturage (découvert en 95), puis ils ont pris leur mal en patience. Beaucoup de sociétés ont mis en place des systèmes parfois collectifs pour leurs employés, à France 24 par exemple la direction a payé le taxi à tous ceux qui ne pouvaient pas faire autrement. A condition d'en trouver un, de ce côté là ça ne s'est pas arrangé. La note va être salée, de toute façon, car il n'y a pas de caisse noire patronale chez nous! Mais on n'a pas revu ces autobus qui partaient parfois à 5 heures du matin des villes de lointaine banlieues pour arriver à 8 heures et demi au centre de Paris.
La principale différence avec 95 vient de l'extraordinaire essor du deux roues, qu'il soit motorisé ou non. Depuis 12 ans les ventes de scooters croissent d'environ 10 à 15% par an. Et puis à Paris, comme dans d'autres grandes villes, il y a, bien sûr, le Vélib... Ajoutés aux vélos "privés" qu'on a ressorti des caves, ce sont des centaines de milliers de bicyclettes, poussées par la mode écolo et le réchauffement climatique, qui ont envahi nos rues, parfois de façon anarchique. C'est, hélas, le revers à la médaille: l'augmentation exponentielle des accidents corporels engageant des deux roues durant les grèves: +70% à Paris selon la Préfecture de Police! A mettre aussi sur le dos des grévistes?
C'est à Paris, plutôt en Ile de France, (et dans une moindre mesure à Marseille) que les syndicats des transports sont les plus puissants. Presque partout ailleurs les transports urbains ont été privatisés ou municipalisés. Il est donc ironique de penser que Bertrand Delanoé qui, selon la formule consacrée a inventé les embouteillages de nuit, en a aussi fourni l'excellente antidote avec le Vélib, et que de cette façon il a rendu un fier service aux usagers et indirectement aussi au gouvernement qui peut négocier sans subir une insupportable pression des salariés "paralysés".
Autre différence majeure: En 95 la surenchère avait coûté très cher aux syndicats "installés"avec l'apparition de Sud Rail sur la gauche de la CGT, et aux dépens de la CFDT. Même s'il y a eu débat interne, il est clair que la leçon a été retenue et que Thibaut avait intérêt à une reprise du travail la plus rapide possible.
Il y a d'autant plus intérêt qu'une fois admis le principe des 40 annuités (ce qu'a fait en réalité la CGT sans bien sûr le crier), il y a du grain à moudre! On le savait avant même que la négociation ne commence, entreprise par entreprise, ce qui est évidement la meilleure formule.
La SNCF propose déjà 90 millions d'euros en compensation aux cheminots sous forme d'augmentation de salaire en fin de carrière, ou de régime de retraite complémentaire.
Ses confortables bénéfices (417 millions en 2006), le lui permettent, et au bout du compte, le client paiera. Ce qui n'est pas choquant d'autant que le train est, en France, encore très bon marché. Les entreprises, les clients, et pour une part aussi les salariés paieront pour des retraites qui seront peut-être meilleures, ce qui est quand même plus normal que de faire payer le contribuable. Et puis 90 millions comparés aux 5 milliards que l'Etat économisera avec la disparition des régimes spéciaux, cela laisse même une marge de négociation aux syndicats qui auront en face d'eux un représentant du dit-Etat!
Bref, en deux mots, on est revenu- enfin presque- à un fonctionnement normal dans un pays démocratique et social, à défaut d'être social démocrate.
Pour toutes ces raisons, il n'est pas exagéré de dire que la grève de 2007 aura été un bide.
Mais, même si ce n'est pas 95, il aura fallu en passer par une grève anachronique qui va couter des centaines de millions, certains disent des milliards d'euros et pas loin d'un demi point de croissance. La France pouvait-elle se le permettre? Bien sûr que non. Et tout cela parce que les syndicats modérés (dans lesquels on peut aussi ranger désormais la CGT) doivent composer avec une base influencée intellectuellement par l'idéologie d'extrême gauche que l'on voit aussi à l'œuvre dans les campus avec le refus dogmatique et suicidaire de toute réforme de l'université. Une extrême gauche qui a contribué au déclin du PC et affaiblit aussi le PS, qui pèse près de 10% aux élections, qui joue ouvertement la rue contre le suffrage universel, refuse de s'incliner devant le votes à bulletin secret dans les AG des facs, en reste à des slogans démagogiques et "anti-capitalistes", bref un courant politique anti-démocratique face auquel, bizarrement, la société ne s'alarme pas, ne se gendarme pas, ne se montre pas "vigilante", comme elle le fait avec l'extrême droite dont la toxicité est pourtant, j'ose le dire, dix fois moins grande!
Attendez, vous ne me croyez pas? Le FN, au faîte de son influence électorale, aurait-il jamais pu, l'eut-il voulu, organiser une telle tentative de déstabilisation? Vous croyez que l'extrême gauche, à la différence de l'extrême droite est non violente? Voyez les destructions dans les facs et à la SNCF...sans parler de sa complaisance "border line" envers le terrorisme politique, la violence contre l'Etat justifiée par la violence de l'Etat et autres foutaises théoriques.
Comme l'extrême droite, l'extrême gauche sera défaite. Elle le sait déjà. Alors que se profile l'inéluctable reprise et les non moins inéluctables compromis, apparaissent les premiers sabotages (que Sud Rail refuse de condamner!). Car elle va ainsi au bout de sa logique de minoritaire. Comme les réformistes finissent par faire valoir leur point de vue et que tout le monde en est à peu près satisfait, elle ne peut que casser, car tel est en réalité son seul programme politique.
Reste qu'elle jouit d'une étonnante tolérance politique et sociale, car on l'assimile à tort au côté sympathique de 68.
Il est temps que juchés sur leurs vélib', les bobos, qui s'adonnent parfois au vote de protestation pour l'extrême gauche- sans même l'excuse sociale des prolos qui votaient Le Pen-le réalisent. Ils jouent tout simplement contre leur pays.