Entretien de France 24 avec le ministre des affaires étrangères
iranien (dans notre jargon on dit le “mae”), Manouchehr Mottaki. Ça
se passe à la résidence de l’ambassadeur, un magnifique hôtel
particulier dans le XVII arrondissement de paris, jouissant d’un
superbe patio surrélevé “à l’orientale”. En y pénétrant, j’ai
davantage l’œil d’un agent immobilier que celui d’un journaliste et je me
dis que les diplomates persans envoyés par le Shah avaient décidément bien du goût.
Face à moi, l’un des plus haut dignitaires de la République
Islamique, un proche d’Ali Larijani candidat malheureux à l’élection
présidentielle et ancien négociateur sur le dossier nucléaire. Comme
j’ai déjà pu le vérifier que la politique étrangère iranienne ne se
comprend qu'à condition d'en décoder les nombreuses
subtilités. L’homme est d’une courtoisie absolue, le verbe est
onctueux, le ton on ne peut plus mesuré et meme modéré, qui n’en
masque pas moins l’orthodoxie du propos. Lorsque je lui demande
pourquoi il a appelé les musulmans du monde entier à
détruire Israël (“Si chaque musulman jetait un baquet d’eau sur
l’entité sioniste, elle serait submergée”), il commence par répondre
qu’il respecte ceux qui ne partagent pas le point de vue iranien!
Mais attention que l’on comprenne bien: Téhéran ne songe pas à
vitrifier Israël, mais considère “en fonction des réalités “ que “le régime
sioniste honni” a perdu toute légitimité aux yeux du monde…comme ce
fut le cas pour le régime de l’Apartheid. On nous reservira cette
comparaison réchauffée (mais très appréciée de Jimmy Carter) à
Durban2 en 2009…
Il s’agit là d’ne version “humaniste” exclusivement destinée aux occidentaux. Devant les
orientaux les iraniens prennent moins de gants.
Cela dit, je pense que cette confrontation rhétorique avec “l’ennemi
sioniste” en dissimule une autre bien plus importante pour comprendre
l’évolution des rapports de force au moyen orient: l’affrontement
entre le “croissant chiite”, manoeuvré par l’Iran et le monde sunnite
dont le leadership fragile est assuré par l’Arabie Saoudite.
Le programme nucléaire iranien fournit une occasion d’une joute
verbale avec Israël qui arrange les deux parties et justifie que chacun
maintienne une garde haute. Mais il est surtout fait pour intimider ou
inquiéter les voisins immédiats de l’Iran, au premier chef l’Arabie
saoudite et les pays du golfe. Objectif déjà en partie
atteint. La puissance d’Israël ne gène nullement l’Iran. Au contraire, elle
maintient la pression sur le monde arabe et entretien le prestige de
l’Iran qui, par Hezbollah interposé, s’enorgueillit de tenir la dragée haute à l’Etat
Hébreu. Voilà pourquoi Téhéran et son allié au Liban feront tout ce
qui est en leur possible pour empêcher un réglement négocié du
conflit Israélo-palestinien.
Reste l’Afghanistan, la conférence sur la reconstruction du pays,
raison du passage à Paris du “mae” (il ne verra évidement aucun
officiel français. En tout cas pas au grand jour, l’Iran est
blacklistée.). Quel jeu y jouent exactement les iraniens? Une partie
d’échecs-jeu dont ils sont les inventeurs- dans laquelle comme il se
doit ils dissimulent parfaitement leur coup suivant. En 2001 ils ont
soutenu les moudjahidines de Massoud dans leur combat contre les
Talibans. Aujourd’hui encore lorsque je l’interroge sur le risque de
leur retour au pouvoir, Mottaki incrimine “ceux qui, à coup de
pétrollars, ont nourrit ces extremistes”, comprenez l’Arabie
Saoudite. Pourtant les services américains et britanniques sont
persuadés que l’Iran leur fournit aujourd’hui de l’armement (des
elements pour des “road bombs” déclenchées à distance au passage des
convois de l’OTAN). En septembre 2007 deux camions d’explosifs ont été
interceptés à la frontière irano-afghane. Mais l’Iran continue de
nier. Il faut dire que depuis le mensonge des ADM en Irak, on ne sait
plus à quelle source se fier…
Dans le même temps l’Iran aide économiquement l’Afghanistan. Mottaki
explique qu’avec $ 500000 les iraniens, très proches culturellement
des Afghans, font ce que “d’autres” (comprendre les pays de l’OTAN)
font avec 5 millions. Et sur ce point, on le croit volontiers.
En résumé, L’Iran soutient Karzai“tant qu’il sera là” (on ne saurait être
plus clair), par réalisme et “parce que c’est le choix du peuple”.
Mais les troupes de l’OTAN n’y seront pas éternellement, et Téhéran
attend leur départ avec impatience pour étendre son influence dans un
pays crucial à ses yeux. De là à forcer un peu ce destin, il n’y a
qu’un pas….
Pour visionner l'entreetien avec Mottaki, rendez-vous sur France24.com. Rubrique débat puis entretiens.
Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen
12 juin 2008
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