Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

16 août 2005

Dépasser Gaza

Je rentre de mes vacances corses le jour même ou commence le désengagement israélien de Gaza et de quelques colonies isolées de Cisjordanie.
Quelques observations s'imposent à ce sujet:
Tout d'abord, il faut espérer que cette démonstration de courage politique aidera les dénonciateurs maniaques d'Israël à remettre quelque peu en cause leurs jugements diffamatoires d' Ariel Sharon. Voilà un homme qu'ils décrivaient comme une brute sanguinaire, un nationaliste inflexible qui, au nom des intérêts supérieurs de son pays ou à l'idée qu'il s'en fait, n'hésite pas à prendre de front la frange messianique, national-religieuse, pionnière du sionisme, à utiliser contre elle la force s'il le faut pour faire exécuter sa décision souveraine. Avouez qu'il y a la matière à revoir quelques portraits expéditifs, pour ne pas dire des caricatures inlassablement servies, au détriment de la vérité pendant des années. A cette égard la visite qu'il a effectuée le mois dernier à Paris est un tournant, compte tenu du rôle néfaste joué pendant trop longtemps par la diplomatie française.
En second lieu, ne nous y trompons pas, ce retrait ne signifie nullement la paix. Il est au contraire, comme le fut jadis le processus d'Oslo, lourd de nouvelles menaces de guerre entre israéliens et palestiniens. Pour les déjouer les ennemis devront passer avec succès un double test:
-Pour les Israéliens éviter, d'abord, la tentation, bien perceptible chez Sharon, d'en rester là. Après le retrait de Gaza le déséquilibre démographique entre Juifs et Arabes ne sera plus aussi mauvais qu'annoncé et permettra même d'envisager le maintien d' une majorité juive dans l'espace compris entre la Méditerranée et le Jourdain. Mais il serait absurde de se leurrer: le maintien de l'occupation conduirait à de nouvelles déceptions et frustrations chez les Palestiniens, lesquelles auront vite fait de balayer les modérés de l'Autorité palestinienne et, comme cela fut le cas après les désillusions d'Oslo, de porter une nouvelle avant-garde palestinienne qui voudra lancer un troisième soulèvement contre l'occupation, avec peut-être encore plus de détermination qu'elle n'en a montré jusqu'ici.
-Les Palestiniens, quand à eux, devront absolument faire la preuve que leur volonté de bâtir une nation est réelle, qu'elle peut se satisfaire d'un compromis, et de la capacité de se doter d'un pourvoir central fort et respecté, d'éradiquer la corruption qui est pourtant une donnée cardinale des sociétés politiques arabes. Les israéliens et le monde attendent d'eux une preuve que leur cause ne sert pas seulement depuis des décennies de simple alibi aux partisans de la disparition d'Israël.
Gaza peut devenir soit l'embryon de ce nouvel Etat, soit un émirat islamiste et terroriste. Dans cette dernière hypothèse la cause palestinienne et l'énorme potentiel de sympathie dont elle jouit encore dans le monde ne s'en relèverait pas. Mais Israël quand à lui, n'aurait rien à y gagner et serait condamné à une guerre permanente avec un ennemi qui ne pourrait l'emporter mais dont il ne pourrait jamais se débarrasser. Il serait donc judicieux de la part de Sharon d'accepter que les Palestiniens se renforcent militairement. Le risque n'est pas si élevé que cela, même si cette force peut être utilisée un jour contre Israël. A charge pour les Palestiniens de faire la preuve qu'il peuvent résolument affronter leurs propres extrémistes, comme le font en ce moment l'armée et la police israéliennes, en acceptant d'en payer le prix douloureux.
De même, le discours israélien consistant à refuser aux palestiniens ce qu'ils estiment être une victoire me semble contreproductif...et avant tout une contre-vérité. De quoi d'autre peut-il s'agir alors que le Likoud avait toujours juré qu'il ne céderait pas un pouce de colonie à Gaza? Toutefois, il vaut mieux que ce soit la victoire d'Abbas que celle du Hamas...
On peut mesurer la difficulté de la tâche restant à accomplir, au vu des difficultés que représentent l'évacuation de seulement deux à trois mille colons irréductibles, quand il seraient plusieurs dizaines voire centaines de milliers en Cisjordanie! Sans compter que si l'élimination de toute présence juive peut encore se concevoir à Gaza, elle serait extrêmement choquante dans des lieux aussi marqués par l'histoire juive que Hébron ou même Naplouse où se trouvent, faut-il le rappeler, les tombeaux des prophètes les plus importants de la tradition hébraïque. Il faudra qu'un présence internationale se porte garante du libre accès des Juifs à ces lieux saints, et de leur garde. Israël, souvent mis au banc des nations, a, là encore, montré l'exemple, en accordant à une très importante minorité arabe (20%) de très larges droits politiques, même s'ils demandent à être améliorés. N'est-ce pas au traitement réservé aux minorités (qui plus est aux minorités conflictuelles) que l'on doit juger vraiment une démocratie?
Enfin, il faut encore le souligner, ce début de "désoccupation", même mené à son terme, ne constitue en aucun cas à lui seul une assurance de paix. Car Israël est au coeur d'un conflit territorial qui se double d'un conflit de civilisation. Le même que celui qui vient de frapper à Londres.
PS:
Je signale, avec beaucoup de retard, le numéro 58 de la revue internationale et stratégique (de l'IRIS), sous la direction de Pascal Boniface, consacré aux répercussions françaises du conflit Israélo-palestinien, et auquel j'ai modestement contribué.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ariel Sharon et Benyamin Netanyahou ont souvent été décrit comme des nationalistes inflexibles car on pouvait difficilement les prendres pour des laics prêts à defendre la paix au prix de choix douloureux, qui plus est en contradiction avec la politique de colonisation qu'ils ont favorisée pendants de nombreuses années. Sharon a changé pour ne pas être tenu pour responsable d'une impasse politique.
Si on me dit aujourd'hui que Netanyahou sera l'artisant du retrait Israelien de Cisjordanie, j'avoue que j'aurais beaucoup de mal à y croire... mais l'histoire est parfois surprenante. Peut-être que lui aussi en fin de carrière aura envie de passer pour un véritable homme politique capable de prendre des décisions historiques et pour non un tacticien capable de gagner les élections en ménageant sa droite.