Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

30 mai 2007

Sainte Eva et les corrompus


Entretien avec Eva Joly à France 24. C'est la deuxième fois que je la rencontre. Elle me demande quelle est ma spécialité. "J'en ai eu plusieurs, lui dis-je, mais l'une d'elle était un peu la même que la votre." Et je lui conte les déboires d' "Argent Public". Ça l'interesse mais elle avait autre chose à faire, à l'époque, que regarder la télévision. J'ai de l'admiration pour son parcours, ses combats contre la corruption. Mais je sens chez elle une abscence totale de sentiments. Je relève une phrase du chapitre de son livre ("La force qui nous manque" Ed.Les Arènes), où elle évoque de manière froide et directe sa séparation, puis le suicide de son mari: "Je gardais le chat, il ne m'aimait pas lui non plus ." Est-ce si difficile d'aimer Eva Joly?
Il fallait certainement cette raideur scandinave pour faire face aux monstres sacrés de la politique, passés par son cabinet d'instruction et qui se pensaient invulnérables. Dans le livre ("un petit traité d'énergie et d'orgueil féminin") , elle les croque plutôt drôlement: Léotard, " le poète", lisant Saint John Perse en lui tournant le dos et la laissant avec ses avocats. Tapie, "le comédien" qui refuse de s'habiller lorsque les flics viennent le chercher en criant au fascisme. Etc.. On se demande si la dame a déjà été impressionnée par qui que ce soit. Ou quoi que ce soit.
Menacée physiquement (un haut magistrat et ange gardien-sans doute s'agit-il de Guy Canivet- lui conseilla un jour de "ne pas trop s'approcher des fenêtres."), Eva Joly a pourtant quitté la France, temporairement dit-elle, pour "ne laisser à personne l'occasion de se venger." Elle travaille aujourd'hui pour le gouvernement Norvégien et un réseau international anti-corruption. Pourtant, elle dit toujours "nous" en parlant de la France et des Français. Quand je m'en étonne elle me rappelle à l'ordre: "Je suis française!". Sans doute avais-je tendance à l'oublier tant elle semble venir d'une autre planète. Mais la France est faite de plusieurs métaux. Je suis hérissé, par exemple, lorsqu'elle attribue la corruption, et plus encore l'indifférence ou plutôt l'irrésolution des français face au phénomène à leur tempérament latin, à leur goût ou leur indulgence pour les fastes "méditerranéens". Je ne crois pas cela, même si, comme elle, je suis convaincu que la corruption des élites est beaucoup plus répandue qu'on ne le pense dans notre beau pays.
Il faut lire son analyse de la corruption en Afrique pour se convaincre que le sujet mériterait que les électeurs qui se disent sensibles aux problèmes du developpement se montrent un peu plus conséquents, par exemple en évitant de réélire des hommes politiques condamnés pour corruption...Quand la France donne un euro à l'Afrique, dit-elle, elle en récupère, ou plutôt les corrompus en récupèrent deux en argent sale...Sans lutte déterminée contre la corruption, pas de combat contre la pauvreté. Mais les juges ne se battent pas à armes égales, à cause de paradis fiscaux.
Avant de commencer l'interview elle me décrit un système assez répandu, selon elle, de blanchiment d'argent sale. M. X, un homme politique qui déclare un patrimoine modeste et des revenus en rapport avec ses traitements dispose d'une importante somme d'argent issue de pots de vins sur un compte à l'étranger. Il ne peut évidement utiliser lui-même cette somme pour, disons, acheter un grand appartement à Paris. Que fait-il? Il a des amis fidèles, ou des obligés avec lesquels il a nourri des relations de confiance durant sa carrière. Fidèles et riches. Il va donc demander à l'un d'eux, M. Y, d'acheter en son nom cet appartement et en contrepartie il déposera le montant correspondant à l'achat sur le compte bancaire de leur ami dans un paradis fiscal...Il dira ensuite que cet ami cher l'heberge gracieusement. L'amitié vaut tous les trésors dit-on.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article sur Eva Joly. Moi aussi,j'admire ses combats contre la corruption mais comment ressentez-vous chez elle une "absence totale de sentiments"? Peut-elle vraiment mener toutes ses actions sans aucun sentiment? pas même celui de l'injustice,n'est-ce pas cela qui l'a guidée?Ne se cache-t-elle pas derrière son apparente froideur pour garder toute sa force? Quant à la corruption en Afrique (j'y ai travaillé 2 ans) c'est terrifiant. Amicalement. Claire

Anonyme a dit…

C'était une interview très intéressante.

Ce n'est pas, je pense, une absence de sentiment de la part d'Eva Joly, juste de la pudeur!
Et ca c'est plutôt digne à l'heure où notamment les hommes politiques font preuve d'une débauche de bons sentiments (en apparence) et d'émotivité (fictive) pour mieux masquer leur cynisme et parce que c'est vendeur électoralement...