A quoi reconnaît-on désormais une grande puissance? A sa capacité de réaction compassionnelle. Celle-ci ne se limite pas à l’effort de mémoire, pourtant devenu un passage obligatoire. C’est ainsi que tous les citoyens de l’Union Européenne ont été invités à respecter hier 3 minutes de silence en mémoire des victimes du tsunami. Pourquoi 3 minutes? On se le demande justement. Une des réponses est l’inflation commémorative: Une minute après le 11 septembre 2001, deux minutes après le 11 mars 2004 (mais rien pour les enfants de Beslan peut-être pour ne pas froisser notre ami Poutine), il fallait bien ça pour les centaines de milliers de morts et disparus de cette effroyable catastrophe. Bientôt on nous demandera peut-être de nous taire pendant une journée, voire une semaine...
En tout cas, Chirac nous gratifia, hier, de sa sollennité de commande durant trois interminables minutes. Une pose fort utile dans ses tâches officielles, qu’il maîtrise d’ailleurs parfaitement depuis son passage par le Cadre Noir de Saumur et qui, semble-t-il, impressionne beaucoup dans les chaumières. Tout de même, notons que quelques courageux enseignants ont pris sur eux de réduire cette interminable obligation à une seule minute de silence, ce qui, convenons en, est déjà bien assez pour des enfants.
Attention: Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de ce propos. Ces remarques ne valent nullement un quelconque mépris pour les victimes. Elles veulent attirer l’attention sur le fait que ces initiatives de commande, commerciales même, sont peut-être surtout destinées à dissimuler nos impuissances.
En effet, la surenchère s’est aussi portée sur le montant des aides publiques aux victimes. L’Allemagne, nous apprend-on, occuperait désormais la première place de ce classement mondial avec 500 millions d’Euros. Mais comme le relève la presse d’Outre Rhin, il s’agit, contrairement aux dons privés (10 millions de dollars, 7,42 millions d'€, pour le seul Schumacher, amateur de pôle position) d’un argent dont l’Etat ne dispose pas vraiment. Ces promesses d’aide publique, plus mirobolantes les unes que les autres, outre qu’elles ont peu de chance de parvenir aux sinistrés, sont surtout destinées à soigner l’image compassionnelle des chefs d’Etat ou de gouvernement. Ici, celle de Schroëder qui avait besoin d’un peu de baume.
Si l’on devait mesurer la puissance de la France sur ce barème, alors il faudrait encore en rabattre car l’aide publique française (promise) plafonne à 48, 8 millions d’euros, bien moins que les 70,5 millions avancés par le Royaume Uni. Aux Etats-Unis, le chiffre de 350 millions de dollars (260 millions d’Euros) a été jugé minable par la presse!
Tout cela n’a pas beaucoup de sens. Saluons, non sans une certaine fierté patriotique, l’attitude de Médecins Sans Frontière qui, après avoir annoncé une collecte internationale de 40 millions d’euros (dont 5 millions pour la France) a décidé que c’était suffisant pour l’instant, annonçant une suspension de la collecte. De surcroît, et il s’agit d’un point capital, compte tenu du savoir faire des “french doctors” et de leur implantation locale, on peut être sûr que cette aide parviendra bien d’une manière ou d’une autre sur le terrain.
Car c’est là que le bat blesse. Le gouvernement américain n’a peut-être pas donné assez (Mais Bush a souligné, lui, en donnant 10 millions de $ de sa fortune personnelle, qu’aux Etats Unis l’essentiel était la générosité du peuple), ce sont quand même les hélicoptères de l’US army que l’on a vu, tentant de larguer des rations d’eau au Sri Lanka ou dans le nord de l’Indonésie, quand notre “Jeanne d’Arc” n’est pas encore arrivée sur zone! Voilà bien la réelle faiblesse de la France, et de l’Europe: Notre incapacité à nous déployer rapidement au large. Pour faire la guerre, bien sûr, mais nous semblons avoir décrété toute guerre mauvaise, ce qui tombe bien. Mais aussi pour l’humanitaire, ce qui est plus embêtant, dans la mesure où nous cherchons à nous spécialiser dans ce domaine, pour nous distinguer de ces va-t-en guerre américains.
Vous vous souvenez de ce slogan des années 70: “En France on n’a pas de pétrole mais on a des idées”. Ici on pourrait dire: On n’a pas (tellement) d’argent mais on a toujours autant d' idées. Celle de nos ministres Douste et Barnier a été formidable: Constituer au plus vite un “Samu mondial”. Un Samu, voilà une spécialité bien française qu’on pourrait tenter d'exporter. Cela mériterait la palme du concours Lépine des idées politiques, mais elle a toute chance de rejoindre, hélas, les belles promesses de Chirac au cimetière des engagements non tenus, en belle place au milieu des baisses d’impôt. Lesquelles baisses d’impôt sont d’ailleurs en flagrante contradiction avec l'idée du Samu Mondial qui aurait un coût pour la collectivité. Mais passons.
Toute l’impuissance europenne est là. Nous reprochons aux Américains de faire la guerre pas l'amour. Nous plaidons pour un “monde multipolaire” (Chirac) mais en matière humanitaire les anglo-saxons sont toujours plus généreux et surtout plus efficaces que nous, mis à part bien sûr le travail d' ONG comme MSF.
Dans son livre sur l’histoire des relations franco-américaines(“Our Oldest Enemy: A History of America’s Desastrous Relationship With France), John J. Miller raconte qu’en 1965, lorsque le president Johnson envoya des Marines en République Dominicaine, alors en proie à une guerre civile, De Gaulle condamna publiquement cette initiative, mais demanda secrètement à Washington de protéger les interêts français. Ce qui fut fait. au lieu de remercier les Américains, De Gaulle s'empressa de dénoncer leur engagement au Vietnam...On en est encore là.
Plutôt que de perdre son temps à défier aussi stupidement l’Amérique, dans une pose gaullienne anachronique et vaine, la France devrait plutôt se demander ce qu’elle peut faire pour regagner quelque influence en Europe. Si toutefois elle se croît encore porteuse d’un message universel.
Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen
06 janvier 2005
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3 commentaires:
Je suis entièrement d'accord sur l'inanité des minutes de silence qui n'ont pas d'effet pratique sur la situation des victimes et visent surtout à donner bonne conscience sous prétexte du devoir de mémoire et de respect.
Par contre on peut saluer l'initiative du président d'Aventis Sanofi qui a apporté 10 tonnes de médicaments cette semaine ainsi que celui du président de Veolia qui a amené sur zone des équipements de traitement d'eau potable. On disait les entreprises préoccupées uniquement par le profit, mais je pense que l'émotion a été sincère et l'efficacité plus rapide que la décision tardive de nos gouvernements d'envoyer les maigres moyens militaires dont nous disposons.
Vincent Baculard
L'idée d'une "force d'action rapide" humanitaire est désolante : il existait déjà, depuis 1986, une cellule de crise interministérielle en France, chargée précisément d'intervenir sur les lieux des catastrophes à peu près n'importe où (elle était au premier rang des secours en Arménie). Cette cellule a perdu tous ses crédits en 1998 et a été démantelée... Et maintenant, il est question de la reformer. On retrouve ici l'un des travers des politiques: des effets d'annonce sans aucune mémoire historique, même récente, et le souci d'occuper le terrain et de se montrer (Douste qui patauge dans la gadoue au Sri Lanka...) plutôt que d'agir.
J'en profite pour féciliter notre auteur qui maîtrise parfaitement les liens dans le texte, mais aussi pour lui demander de faire un peu moins long...
Remarque , pour certains , les faire taire pendant 3 minutes c'est déjà une action de salubrité publique...
D'autre part si les états se font la course pour savoir qui donnera le plus ( on est toujours dans la parabole de la cour d'école à celui qui aura le plus gros zizi...) , les pays dits pauvres en profiteront donc laissons les riches pour une fois lâcher les sous...
Dark Vador.
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