Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

24 mai 2005

Carnet de route en Israël (1)

Pour cause de voyage en Israël, à l'invitation de l'Université de Tel Aviv, j'ai un peu délaissé les lecteurs de ce blog, mais j'ai l'intention de me faire pardonner en vous faisant partager les moments le plus intenses de ce voyage.

Mardi soir, Roissy Charles De Gaulle.


Comme dit Nougaro, "dès l'aéroport, j'ai senti le choc". Je n'étais pas retourné en Israël depuis 8 ans. Voyageant sur El Al, la compagnie nationale israélienne, récemment privatisée, d'emblée je suis frappé de voir que les règles de sécurité y sont complètement différentes que pour tout autre voyage. Ici pas de traque obsessionnelle aux ciseaux à ongles (ou aux coupe-cigare en ce qui me concerne, combien ai-je du en sacrifier par étourderie!), en revanche, les bagages sont auscultés avant enregistrement à l'aide d'une sorte de stéthoscope "high-tech" dont je me demande bien comment il fonctionne. L'agent de sécurité s'intéresse particulièrement aux poignées et aux fermetures éclair. Il repose ensuite l'objet sur sa base et attend le verdict de l'ordinateur central. Après son feu vert, je passe les autres contrôles sans trop de tracasserie. Je me sens en sécurité, plus qu'avec aucun autre transporteur sans doute. El Al est une des rares compagnies à disposer, dit-on, d'un dispositif de contre-mesures en cas d'attaque par un missile. La plupart des autres compagnies y ont renoncé en raison du coût prohibitif, même si elles savent que le prochain acte de terrorisme pourrait venir de là. Je m'endors donc tranquillement. D'autant plus que la nuit sera courte.

Mercredi, 5 heures locales, Lod.


Choc, encore, devant le nouveau "Ben Gourion". Il s'agit du nouvel aéroport international de Tel Aviv, inauguré il y a seulement 5 mois. Quel luxe! Quel contraste surtout avec notre bon vieux "Charles De Gaulle" où l'on a sans arrêt envie de demander au responsable de bien vouloir allumer la lumière et dont les boutiques font pitié. Et oui, question aéroport l'héritage de David surclasse celui du géant Charles! Je me demande s'il faut y voir un symbole. Après tout, le premier regard qu'un pays offre à ses visiteurs étrangers et assez révélateur de son état d'esprit. La France a-t-elle encore envie de rayonner? A-t-elle, pour cela, encore suffisamment confiance en elle?

Mercredi, 10 heures, TAU, Ramat Aviv.



Après quelques heures de sommeil, à l'hôtel cette fois, arrivée au campus de l'Université de Tel Aviv. Autant le dire tout de suite, un rêve d'étudiant. Espace, confort, soleil gagnant et surtout, respect des lieux. Propreté irréprochable et bien sûr pas le moindre graffiti. Il faut dire qu'ici presque tous les étudiants travaillent pour payer leurs études. Etudes qu'ils entreprennent en général après leur service militaire, qui coûtent fort cher et qu'il doivent interrompre régulièrement (pour les garçons) par leurs périodes de réserve. Lorsqu'on a le privilège d'y être admis ou d'avoir une bourse, on ne s'amuse pas à faire des cochonneries. Là encore le souvenir de mes années d'université, de ces locaux froids, sous-équipés et de ces odeurs d'urine, ne me laissent aucun regret.
Le colloque auquel nous sommes invités s'intitule: "
Guerre, résistance, collaboration, un demi-siècle d'historiographie française". Il est organisé par Jean-Pierre Azéma pour l'Institut d'études politiques de Paris (Science-Po) et par Elie Barnavi pour l'université de Tel Aviv (TAU). Tous les meilleurs spécialistes sont là, René Rémond, Henri Rousso, Zeev Sternhell, Pierre Laborie, Pascal Ory, pour citer les plus connus, et aussi, qui l'est moins, Jean-Marc Berlière, de l'université de Dijon, auteur d'une Histoire de la police sous Vichy que je me promets de lire au plus vite tant elle semble passionante.
Sciences-Po et la TAU viennent de signer un accord de partenariat qui se veut une réponse aux tentatives de boycott des universités israéliennes au nom du "palestianisme", venues, en France, de Jussieu ou de Grenoble.



Un colloque de plus sur Vichy? Peut-être, mais à Tel Aviv, ce qui lui confère un intérêt particulier.
Première surprise: alors que l'on s'attendait à une série de récriminations des historiens israéliens envers leurs pairs français qui auraient trop tardé à s'emparer de cette Histoire, rien de tel ne se produit. Au contraire, Shlomo Sand, professeur au département d'Histoire de la TAU se dit envieux devant le travail de mémoire des chercheurs français et leur indépendance d'esprit: "
Je souhaite, dit-il, que nous en fassions autant avec nos propres heures noires." Sand, connu pour ses opinions de gauche (et même très à gauche) pense bien sûr à 1948. Il est quand même un peu injuste car si on lui parle de Tom Segev ou de Benny Morris (entre autres), il répond que ce ne sont pas universitaires, ce qui n'a, bien-sûr, aucune importance. S'agissant de 67, Sand s'enflamme même en lâchant: "Si on avait plus écouté de Gaulle, on n'en serait pas là!". Comme me le confiera plus tard Zeev Sternhell, "on n'avait pas besoin de De Gaulle. Chez nous aussi beaucoup de gens plaidaient pour l'évacuation rapide des territoires occupés." En tout cas, Sand, bien que minoritaire, et surtout parce que minoritaire, est à lui seul une réponse cinglante à l'idiotie des partisans du boycott. Les universités israéliennes avec leurs étudiants arabes, souvent boursiers, (10 % environ) sont un lieu d'échange et de paix assez unique.
La France doit-elle encore se sentir collectivement coupable? Et en premier lieu envers les Juifs. Telle fut, au fond, la question centrale de ce colloque. Le consensus s'est fait autour des constatations suivantes:
1/ La France a suivi un cycle Deuil/amnésie/anamnèse/hypermnésie (Rousso) qui n'a rien d'exceptionnel. La période d'amnésie, bien réelle, pouvant être bordée par 1950 et 1972, date de la publication du fameux livre de l'historien américain Paxton dont le succès -progressif- réveilla, dans le climat post soixante-huitard, la curiosité des Français. Aujourd'hui, Rousso estime que, mis à part l'Allemagne,
"la France est le pays qui est allé le plus loin dans l'effort de réparation et de mémoire." Pour preuve,dit-il, " sur le plan de l'historiographie, la fièvre d'un événement comme le procès Papon n'a débouché sur aucune avancée". En gros, ce que nous a appris Papon, on le savait déjà, et même davantage.
Ce cycle de la mémoire n'est donc en rien une exception française. Le refoulement est classique, même en Israël...Il a suivi le même cours, en France, que dans la plupart des autres pays d'Europe occupés par les nazis, même quand ils n'ont pas adopté, comme Vichy, une politique de collaboration d'Etat. Un seul exemple: Il a fallu attendre une thèse de 2000 pour apprendre que le bourgmestre d'Anvers avait activement participé aux rafles des Juifs de sa ville. Trop tard, car il avait, entre-temps, été fait citoyen d'honneur de la ville de Haïfa!
2/ Contrairement à une idée reçue, il y a, à ce jour, encore bien plus de références bibliographiques sur Vichy que sur la Résistance. Cela tient surtout au fait que la petite élite de la résistance a très longtemps conservé le silence, pensant que son histoire n'appartenait qu'à elle. A cet égard, selon Laurent Dauzou (IEP Lyon), "
la panthéonisation de Jean Moulin a été l'arbre qui a caché la forêt. La résistance ne ressortait simplement pas à l'ordinaire."
3/ Contrairement à l'idée qu'en avait Paxton, la France n'a pas été cet amas de lâcheté et de veulerie, réfugiée dans un attentisme nombriliste, indifférente, notamment, au sort des Juifs. Les rapports des préfets, révélés par l'ouverture récente des archives (dont ne disposait pas l'historien américain) indiquent une prise de distance de la population dès la poignée de main de Montoire et un vrai décrochage, comme on dirait aujourd'hui, à partir du printemps 1941. Décrochage avec le régime, condamnation évidement de l'occupant et de la collaboration, mais pas de la personne du Maréchal, c'est là la grande différence. Pierre Laborie (EHESS) parle "
d'ambivalence", on pourrait dire aussi bien ambiguïté ou inconséquence...Tout se passe, selon lui, comme si la personne de Pétain opérait auprès du Français moyen "comme un écran l'empêchant d'avoir accès à la réalité." Au point qu'il peut parler d'une véritable "histoire d'amour" entre les Français et lui. Qui dura fort longtemps...
Quelle interprétation donner à cet attentisme? Là, on touche à ce qui reste le plus fascinant dans Vichy. Le silence, interprété comme de la lâcheté est d'abord, selon Laborie,
"un signe de dignité". L'occupant inspirant surtout "la trouille". A partir des rafles de 42, ce silence sera pire que de la lâcheté, "de la complicité." Mais en tout cas, dit-il, "on n'était pas ou résistant ou collabo. Ce n'était pas ou/ou. Mais souvent et/et. Ainsi, vit-on des ouvriers travailler le jour pour l'industrie de guerre des allemands et la nuit pour la résistance. Ou d'authentiques FTP conduire des trains bourrés de Juifs pour avoir des primes."



En résumé, le sursaut des consciences individuelles, donnant ces milliers d'authentiques actes de courage, sauvant des milliers de vies, ont- dans une certaine mesure- racheté la pusillanimité, la lâcheté des institutions et des corps constitués. C'est toute cette zone grise qui commence à peine à être révélée, avec en particulier le concept de "Vichysto-résistants" forgé par les historiens pour qualifier ceux qui furent d'authentiques vichystes, puis d'authentiques résistants. Comme François Mitterrand. Ou comme un René Carmille, déporté et mort à Dachau comme résistant (réseau BCRA Marco-Polo) mais qui, jusqu'en 42, participait avec application à Vichy, à la chasse aux Juifs.
Cela explique, en partie, la controverse encore ouverte sur la nature profonde de Vichy. Vrai régime fasciste, selon Sternhell, ou simple révolution conservatrice pervertie dans la collaboration? Troublant est le fait que les idées réformistes émises sous la IIIe République aient été mises en oeuvre, à Vichy, par ceux-là même qui les avaient énoncées. Sur le plan social en particulier. L'Etat-Providence fut ainsi largement institué par Pétain et perpétué par la IVe République. Ce qui rend encore plus légitime la grande reconnaissance des responsabilités au nom de l'Etat français, faite en 1995 par Jacques Chirac.
Reste que, comme l'a magistralement expliqué Zeev Sternhell, "
Un régime fasciste est différent d'un autre, de même que chaque régime démocratique est particulier." Puis, invoquant Toqueville: "Ce qui compte c'est l'idée-mère, les structures essentielles, pas les détails que l'on ne peut voir dans le champ de l'histoire sociologique."
Et l'idée-mère de Vichy, peu importe comment on l'appelle, c'est bien l'anti-Lumières, l'anti-libéralisme, l'anti-démocratie, et bien sûr, obsessionnel, l'antisémitisme.



René Rémond avec Zeev Sternhell au colloque de Tel Aviv

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Sylvain, ferais-tu l'éloge de la politique économique libérale de Netanyahu ? Effectivement, ce n'est pas demain la veille que cela se produira chez nous. Que faire pour réveiller notre pays en voie de sous-développement ?

Anonyme a dit…

Je ne connais pas l'aéroport Ben Gourion mais c'est vrai que CDG est assez nul question confort du voyageur et boutiques. Même Madrid est mieux !

Deux détails significatifs quand même :

Aéroports de Paris a beaucoup de succès commerciaux dans le consulting : ils expliquent aux autres pays comment gérer leurs aéroports.

Aucune autre ville au monde n'offre autant de destinations desservies par vols directs que Paris : 250 contre 242 pour Londres, 237 pour Frankfurt...

Anonyme a dit…

Bien sur si la France va mal,c'et la faute aux Arabo-Musulmans.Vous pouvez dire ce que vous voulez de nous.Vous n'etes plus cridible meme un certain partie ne veut plus de vous.Vous etes un pro Sharon et vous etes aveugler par votre haine envers nous et nos fréres PALESTINIENS.En cas tout en France,on fera tout pour denoncer les crimes qui sont fait au peuple FRERE PALESTINIEN et garce à l'INTIFADA israél est mis au ban des nations.Le peuple PALESTINIEN VIVRA ET SERA INDEPENDANT de votre occupation et un jour l'histoire jugera l'israél et certains hommes politiques racistes.

all a dit…

Bon billet. Bravo.

Anonyme a dit…

Bonjour,

On a du se croiser quelques fois entre votre départ de et mon arrivée à LCI. En revanche, j'ai plus travailler avec votre femme ou compagne. Je vis aujourd'hui en Israël, et autant vous dire que je me suis régalé avec vos blog sur Tel Aviv. A quand les prochains, sur d'autres sujets !!

Anonyme a dit…

bonjour
pour info : quand on décide de voyager sur une belle compagnie aérienne ( Air France ) votre départ et votre arrivée se feront de Roissy 2 , où les terminaux A B C D et surtout F ont quand même une sacrée allure...bien sur si vous parlez de Roissy 1 d'où partent les autres compagnies...

DS a dit…

Je ne connais pas (encore) le lieux que tu décris, mais c'est vrai que ça fait envie... Cela dit, je trouve ton compte-rendu brillant : enfin un exposé qui sort du traditionnel cliché "Français = tous collabos". Et puis, tu es honnête envers Paxton qui, s'il est vrai qu'il n'a pas eu accès à toutes les archives, a eu le mérite de titiller les historiens français qui, du coup, se sont mis aussi à enquêter sur Vichy...

PS. J'aimerai savoir où le monsieur excité a cru comprendre que "si la France va mal,c'et la faute aux Arabo-Musulmans".

Anonyme a dit…

Bonjour,
à l'insu de votre plein gré, et surtout sans vous demander l'autorisation, j'ai pris l'initiative d'essayer de publier vos "carnet de route en Israël" sur le site rouge-brun-vert indy paris, histoire de leur faire lire autre chose -et mieux écrit- que leur propagande politiquement korrekt; les "modés", tout acquis à l'extrêmisme en ont sucré un, le numéro 2, allez savoir pourquoi.
Merci pour votre blog, que j'ai découvert depuis peu, c'est souvent un bonheur.

carnet de route en Israël (1)
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=37557#commentaires

carnet de route en Israël (2)
http://paris.indymedia.org/article_cache.php3?id_article=37560

carnet de route en Israël (3)
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=37567

carnet de route en Israël (4 et der)
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=37575

Certains commentaires sont à la hauteur d'indy paris, et d'autres, comme le suivant, vous feront peut-être plaisir :
"Bravo

Quelle dose de réalisme et quel sens de l'exactitude que cet article. je suis venu en Israël et en palestine il y à déjà trois ans, Nous sommes passé par le lac de Tibériade sur notre route pour le Golan. J'admire votre détermination et la simplicité , oh combien difficille à vivre et à assumer au quotidien, de votre vision et de votre engagement concret pour une "autre paix". De quoi se libérer des lunettes par trop manichéennes que certains protagonistes du conflit, et la plupart des massmédias, désirent nous voir adopter.

Merci


MC Collard
le 1er/06/2005 à 14h27"



Voilà; j'espère que vous ne m'en voudrez pas,

Claire