Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

26 mai 2005

Carnet de route en Israël (3)

Vendredi soir. Shabbat avec les vestales du "Grand Israël "

David Shapira est un pilier du "Yesha", le mouvement des colons. Il nous invite à partager le repas traditionnel du vendredi soir avec sa famille à Bet El, une implantationde 1000 familles environ, "bourgeoise", comme il le reconnait lui-même, située à quelques kilomètres au nord de Ramallah et de sa Mouqata. D'ici on était aux premières loges lorsque les hélicoptères israéliens pilonnaient le QG d'Arafat. Le taxi nous a laissé à l'entrée du lotissement. Ici, tout le monde, ou presque est religieux, fondamentaliste même. Aucune voiture ne circule dans les rues jusqu'au samedi soir.
Petits pavillons coquets. Jeunesse en papillotes.
"La première richesse de Bet El, nous dit fièrement David, ce sont les enfants." C'est leur arme, leur supériorité, sur les laïcs, les matérialistes de Tel Aviv. Cinq enfants par famille en moyenne. Ce soir, on les aperçoit à travers les vitres de la Yeshiva, offerte par un riche juif américain. Eliel, l'aîné des garçons de David y étudie pour être rabbin. Il veut aller manifester à Gaza contre le désengagement. Il ferait tout pour l'éviter, "sauf tuer d'autres juifs ou être tué." Pas d'autre argument que la certitude que "cette terre est à nous." Mais à Bet El ce viatique est suffisant. David pense la même chose, se sent trahi par Sharon et milite via internet, ou la radio des colons quand elle n'était pas interdite. Mais il est moins chaud pour rejoindre les activistes sur le bitume à Gaza. Il a vécu en France jusqu'à l'âge de 22 ans. Ça le modère. Au mur, des estampes de paysages de Provence. Un fac-similé du "j'accuse" de Zola, aussi, comme vestige républicain sur lequel il a bâtit sa nouvelle vie . Il dit que "ça ne mérite quand même pas une guerre civile." Sharon est-il le De Gaulle qu'attendait Arafat? Cherche-t-il seulement à gagner du temps et à embrouiller les Américains comme on le pense à gauche? Cette affaire commence en tout cas de plus en plus à ressembler à l'Algérie. Sauf qu'il n'y aura jamais la mer entre Israéliens et Palestiniens.
Irène, l'épouse de David, dentiste à Jérusalem, excellente cuisinière, nous accueille avec une extrême gentillesse. Elle voudrait la paix, mais elle n'y croit pas. Ici, il y a les choses auxquelles on croit et celles auxquelles on ne croit pas. Point final. Esther, l'aînée, n'est guère plus conciliante que son frère. Histoire de tremper ses convictions déjà bien forgées, elle est volontaire un jour par semaine au Magen David Adom, la croix rouge israélienne. Elle ramasse les restes humains sur les lieux des attentats suicide. Après la Pâque juive, la famille bien a pensé déménager à Goush Katif, un bloc d'implantations dans le sud de Gaza, en solidarité. "
Mais l'administration refuse de délivrer des papiers d'identité avec cette adresse." A malin, malin et demi. C'est une partie de cache-cache. Combien sont-ils à avoir déjà accepté les propositions de relogement du gouvernement? la moitié, les deux tiers? Info ou intox? Les Shapira semblent résignés: "on n'aura pas le choix."
Parenthèse à propos du relogement: la ministre de la Justice, Tsipi Livni, a proposé un déménagement en communauté, à quelques kilomètres au Nord de Gaza, à Nitsanim, dans un paysage de dunes magnifiques, ou les colons devraient être réinstallés en deux temps. Dans des mobile-homes d'abord, dans du dur ensuite. Or, les écolos contestent ce choix qui risque de dégrader l'un des derniers sites sauvages de la côte. Le maire de la ville d'Ashkelon, la grande ville voisine, qui veut lui aussi accueillir cette population dynamique et travailleuse les soutient et affirme qu'il peut les loger tout de suite et définitivement, ce qui leur éviterait un deuxième déménagement. La découverte de l'importance de l'environnement, ça aussi c'est un signe du développement de la classe moyenne. Jadis on bétonnait en se fichant pas mal de cette végétation aride, de ces sables et de leurs dizaines d'espèces de lézards. Le pionnier venait pour installer la civilisation et faire pousser des légumes. D'une certaine façon les colons d'aujourd'hui sont les héritiers de cette tradition-là, avec d'ailleurs une prédilection pour les cultures biologiques, chères à José Bové. Il y a des familles de cultivateurs-ce n'est pas le cas des Shapira- ou l'on bannit même le coca-cola et tous les produits trop emblématiques de la "malbouffe."


Yaacov Katz, "Katsele"-© David Shapira

Le clou sera après le dessert. David nous l'avait dit:
"Vous ne regretterez pas votre soirée. C'est un personnage. Il ne rencontre jamais de journalistes." Yaacov Katz, dit "Katsele", longue barbe et regard d'acier, est le fondateur de Bet El. Il a été le bras droit, le bâton de Sharon en Cisjordanie et à Gaza , lorsque celui-ci était ministre du logement et lançait le programme d'implantations à la fin des années 70. Mieux. Pendant la guerre de Kippour "Katsele" (petit chat!) a combattu sous les ordres de Sharon. Il a fait partie de ces officiers d'élite qui ont franchi le canal, inversé une situation catastrophique et peut-être sauvé Israël. Sauf qu'il a reçu une roquette RPG sur le flan qui l'a coupé en morceaux. "Arik" Sharon enverra un hélicoptère derrière les lignes ennemies pour, pensait-il, récupérer le corps de son ami. Il a survécu et, comme dans les films, a épousé son infirmière. Il est certain de remporter ce combat sur son ancien mentor et moque la résignation de David et la met sur le compte de ses origines françaises. Aujourd'hui Sharon ne le prend plus au téléphone. "Mais je le connais, dit-il. Mieux que vous. J'ai passé des années sous la tente avec lui. Il a déjà reporté le retrait, il y aura d'autres reports. Puis, il finira par m'appeler et me dire: Katsele, j'avais tort. Tout le monde peut avoir des difficultés dans la vie." Comment peut-il en être si sûr? "On ne peut pas déplacer 10000 personnes (8000 en réalité) contre leur volonté. On peut les tuer, mais pas les déplacer." Katz ne condamne pas les appels à la désobéissance lancés par des rabbins aux soldats de "Tsahal". Fait-il donc si peu de cas de l'armée? de l'Etat? C'est un sophiste: "Si on donnait l'ordre d'évacuer des Arabes, je leur demanderais de désobéir de la même façon et ça ne vous choquerait pas. Vous pensez que les Juifs sont moins importants que les Arabes?" Tout ça pour se retrouver dans dix ans minoritaires parmi les Arabes? "Vous verrez, bientôt tous les Juifs du monde, de France particulièrement, vont venir nous rejoindre. Je n'ai pas peur! Regardez ce que nous avons fait de ce pays. Personne n'a jamais cru que nous y arriverions! Croyez-moi, vous verrez." Aucun raisonnement ne peut faire vaciller la foi. Il croit tellement à son rêve qu'il se dit prêt à donner aux palestiniens le droit de vote. Ce qui veut dire que, comme l'extrême gauche, il est en train de plaider devant nous pour un Etat binational!
Pendant une bonne partie de la conversation, avant que nous ne migrions dans le jardin, Eliel fêtait son anniversaire avec ses copains de la yeshiva et leur rabbin. Leurs chants et leurs prières recouvraient nos conversations pour lesquelles, je l'ai bien senti, il n'avait que mépris. Spectacle assez inquiétant. Dommage, Eliel, lui, ne connaîtra jamais la Provence.

2 commentaires:

all a dit…

« Il veut aller manifester à Gaza contre le désengagement. Il ferait tout pour l'éviter, "sauf tuer d'autres juifs ou être tué". »
Yep ! On s'approche des trois lois de la robotique, « 3 laws safe », de Asimov.

J'ai bien aimé ce carnet de route, ça me change des billets sur le TECE des autres blogs qui commencent à me prendre la tête.

PS: pour la typo voir
http://www.interpc.fr/mapage/billaud/ponctua.htm
http://www.mshs.univ-poitiers.fr/Forell/JLDMIR/TYPOGRAP.HTM

Cordialement

Sylvain Attal a dit…

la typo est, je le sais, le grand point faible de ce blog. Je promets d'améliorer cet aspect de ma "petite entreprise".