Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

09 juin 2007

"Bild" va-til secouer la presse française?

La presse française, surtout la presse quotidienne, est souvent ennuyeuse, moutonière, imprécise et pauvre en informations, reportages et enquête "in depth", en profondeur comme disent les anglo-saxons. Elle excèle dans les titres accrocheurs qui trompent sur la marchandise et introduisent des articles vides ou plats. Comme elle est souvent entre les mains de capitalistes ou d'interêts dépendant étroitement de commandes publiques elle est continuellement l'objet de soupçons de connivence ou d(e)'(auto)censure. Deux parfaits exemples viennent d'en être donné très récemment avec la censure, sur intervention d'Arnaud Lagardère, d'un papier du JDD sur l'abstention de Cécilia Sarkozy le 6 mai dernier, et celle, déjouée semble-t-il, de la reprise d'un article hongrois, d'abord paru en France dans Courrier international, traitant d'expulsions musclées d'étrangers illégaux par la police française par le quotidien gratuit Matin Plus (copropriété de Vincent Bolloré et du groupe Le Monde), au motif "qu'on ne peut pas parler ainsi de la police française". Ces affaires déplorables ont fait grand bruit et occasionné des téléscopages amusants bien racontés ici.
Tout ceci, ajouté au tonitruant parachutage à TF1 de Laurent Solly, ancien chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, a relancé les craintes d'une main-mise "berlusconienne" de l'Elysée sur les medias. Notre vigie médiatique préférée a donné ici quelques clés qui permettent de comprendre en quoi cette mutation est peut-être en rapport indirect avec les hauts et les bas du couple Sarkozy. Cette histoire a aussi le mérite de montrer qu'un journal a priori indépendant économiquement et politiquement des industriels de l'armement et des amis du chef de l'Etat, doté d'une rédaction très chatouilleuse sur cette indépendance, prend de telles précautions d'écriture que le lecteur finit par ne plus rien comprendre à ce que l'on essaie de lui dire...sans le lui dire! Bref cela explique aussi que la presse française, même de qualité, ait aussi peu de lecteurs, comparée à beaucoup de nos voisins.
Là, on touche du doigt qu'il n'est pas facile d'analyser les raisons pour lesquelles les journaux français ont autant de mal à dire les choses de manière directe et intelligible par le lecteur déjà objet de nombreuses autres sollicitations dans sa journée de dur labeur.
Je note en effet que des journaux comme Libération ou Le Parisien que l'on ne peut soupçonner de connivence sarkozystes n'ont pas mis beaucoup de zèle à informer sur les facéties politiques de Cecilia Sarkozy. Le Monde non plus d'ailleurs, pas plus que son service politique n'avait interressé ses lecteurs au rôle apparement joué dans la construction de la candidature Royal, l'évolution de "son agenda privé" comme dirait le Monde avec son compagnon François Hollande. Avant que deux de ses journalistes ne nous disent ce qu'elles savaient dans un livre paru au lendemain de l'élection, c'est à dire-à nouveau une drôle de manie française- une fois que tout était joué. Bien. Rien n'est simple en la matière, et j'ai noté que l'hebdomadaire britannique "The Economist", grand redresseur de torts devant l'éternel, dans un article consacré cette semaine aux collusions entre les milieux de la presse, de la télévision et de la politique et des industries d'armement en France, considère que, compte tenu des relations incestueuses entre ces mondes, il est finalement étonnant que "ces conflits d'intérets ne génèrent pas davantage de censure qu'ils ne le font." Dont acte.
Je sens que vous vous impatientez. Mais ou veut-il donc en venir? Et bien à ceci que je finis par penser, comme d'autres, que la presse française a besoin d'un big bang, et que celui-ci ne peut venir que d'actionnaires étrangers dépourvus de toute attache avec le pouvoir politique ou économique français, et seulement motivés par le fait de vendre le plus de journaux possibles pour être rentable. Je vois bien ce que vous pensez: vendre du papier quelle horreur! Il faut être racoleur et mettre des photos de filles à poil comme le font les tabloïds britanniques. Ce risque existe, il ne faut pas se le cacher. Encore que, à côté des faits divers souvent graveleux, les articles politiques souvent très sevères pour le gouvernement en place jouent outre-manche un rôle de contre-pouvoir que n'exercent plus que très rarement les journaux français. Et puis, chacun sa culture et, par exemple, les révélations sur l'homosexualité ou l'infidélité d'un ministre n'emeuvront jamais personne de ce côté-ci de la manche. En revanche les domaines de la vie privé et de la vie publique n'ont plus de frontière aussi étanche qu'on ne le pensait jusqu'ici, comme le montre bien l'histoire de la "Femme fatale".
Or il se trouve que justement on nous annonce l'arrivée d'un tel journal. Je pense bien sûr au projet du groupe allemand Springer de lancer un quotidien populaire et très bon marché en France, sur le modèle du Bild d'Outre-Rhin. Ses promoteurs ne sont pas encore certains de la viabilité du projet, notament que les conditions de sa distribution lui permettront d'atteindre au moins 800000 exemplaires vendus. Il me semble en tout cas que sur le plan rédactionnel il existe en France un réél déficit d'offre que tente de combler, de manière imparfaite, internet.
Ce nouveau journal sera, il faut s'y attendre, très décrié (après le plombier polonais, le journaliste allemand), exploitant un sentiment xénophobe latent en France, il sera méprisé par les biens-pensants, mais j'en attend personnellement beaucoup.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il y a toujours eu, effectivement, une volonté française pas forcément marginale, qui a souhaité l'intervention d'autres pays dans sa vie quotidienne...

De tristes exemples...

Nous sommes à la fois sûrs de nous, fiers de nos particularismes, et prompts à demander un visa de conformité à n'importe qui.

On dirait qu'une partie de la société fait sa crise d'adolescence : on ne veut pas de l'autorité paternelle, alors on va chercher l'assentiment de la bande de copains extérieure à la famille, mais ultra-codifiée et parfois dangeureuse.

Ma foi, il y aura toujours des gens pour approuver n'importe quoi pourvu qu'on cesse de s'ennuyer, non ?