Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

03 novembre 2005

Intifada des banlieues?



Il faut croire que l'éloignement aide certains hommes politique à ouvrir les yeux. Ainsi, il faut saluer la lucidité d'Alain Juppé, qui a compris que l'essentiel de ce qui est en cause en banlieue était la question du "vivre ensemble". L'inquiétude vient, nous dit-il, des divisions entre "français et étrangers, français d'origine et immigrés de la 2ème ou de la 3ème génération, chrétiens (souvent ô combien déchristianisés!) et musulmans... " Autrement dit, nous avons sous les yeux les résultats de 30 ans de politiquement correct et de débat interdit sur la question de l'immigration.
Villepin, qui a-décision exceptionnelle- annulé sa visite officielle au Canada (où il devait d'ailleurs rencontrer son ancien mentor) a compris le caractère quasi insurrectionnel de la situation. Personne ne détient la solution pour ramener le calme. Notons simplement que les appels à "un grand débat" (Bayrou, Ayrault) semblent bien timides, quand, sur le terrain, un syndicat de policiers (CFTC) demande "un couvre feu pour ramener l'ordre républicain, faute de quoi ce sont 700 cités qui entreront à leur tour en guerre civile." Vous avez bien lu, "guerre civile." On pourrait aussi employer le terme "intifada" qui nourrit l'imaginaire des musulmans dans les banlieues, depuis des décennies.
La dimension religieuse de ces évènements s'impose chaque jour davantage. Le Monde semble, par exemple, s'impatienter de voir les "frères musulmans ramener le calme". Si Le Monde a raison de pointer le rôle des barbus, il a tort de paraître s'en réjouir. On sait que la stratégie des islamistes est de s'imposer comme interlocuteur incontournable de l'Etat. Ils pensent y arriver, (et vont peut-être y arriver), en ramenant les banlieues à la raison, après avoir, pendant un temps, soufflé sur les braises. Ce serait conforme à leur attitude constante.
La dimension culturelle, les carences éducatives, sont aujourd'hui les premières responsables des dangers qui menacent environ 100 000 enfants, comme vient de le montrer un rapport de l'Odas, l'observatoire décentralisé de l'action sociale, à partir des rapports effectués sur le terrain par les travailleurs sociaux. Cela veut dire que les déterminants sociaux ne sont pas cruciaux, comme on a trop rapidement tendance à le penser. Ainsi, dans une cité "difficile" donnée, entre deux familles disposant du même revenu et se trouvant dans la même situation sociale, le climat envers les enfants sera beaucoup plus favorable si les parents sont unis, plutôt que s'ils sont divorcés, si les tuteurs exercent réellement leur autorité, plutôt que lorqu'ils l'ont abandonné, quand les enfants font leurs devoirs et se couchent tôt, plutôt que lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes, regardent la télé pendant des heures, ou pis, trainent seuls dans les rues la nuit.
Transposé à la situation des ghettos musulmans de nos banlieues, cela veut dire qu'il ne faut pas céder à la tentation d'essentialiser ce qui s'y passe, mais en même temps se rendre compte que l'éternelle tentation de l'excuse sociale est infailliblement interprétée comme un encouragement à poursuivre les mises à sac, les incendies, les tirs à balles réelles contre les representants de la République. En effet pourquoi s'arrêter si ces actes de vandalisme sont interprétés par les "sociologues" (comme, hier encore, par Michel Wieviorka), comme l'expression d'un "désespoir"? Il y a lieu de penser que les gosses qui entendent, chez eux, un discours positif envers la France seront davantage préservés que ceux qui baignent dans un climat de rancune.
Ces messages ont des effets dévastateurs, comme de celui de provoquer l'extention des émeutes à des banlieues beaucoup plus "calmes" que Clichy-sous-bois, Aulnay ou Sevran, mais ou existent néanmoins des quartiers sensibles, par exemple à Suresnes ou Antony où des voitures ont été brûlées la nuit dernière.
Il est particulièrement inadmissible que la gauche et une partie de l'UMP, proche de Villepin, donne l'impression que les jeunes ne font que répondre aux "provocations" de la Police ou de Sarkozy. Malgré ses balourdises, le ministre de l'intérieur ne fait que dire des vérités d'évidence. Comment, par exemple, peut-on lui reprocher de dénoncer la "racaille" et les "voyous", termes qui s'appliquent en effet aux délinquants et a l'avantage de les distinguer des autres habitants qui entendent mener une vie paisible et honorable? Comment lui reprocher de pratiquer des amalgames et en même temps préférer le terme lénifiant "jeunes" pour désigner les casseurs? Ceux-là n'incitent-ils pas à penser que tous les "jeunes" sont en fait des voyous?
Le résultats c'est que les "jeunes" et leur "grand frères" (terme hallucinant qui désigne à la fois les éducateurs municipaux et les barbus de la mosquée) ont cru pouvoir disqualifier Sarkozy en lui préferant Villepin ou son homme lige, Azouz Begag, dont la mission essentielle paraît non pas de favoriser l'égalité des chances mais de discréditer le rival du premier ministre dans la perspective de 2007.
Au lieu de ces gesticulations pourries d'arrières-pensées politicardes, le ministre de la justice aurait mieux fait de conseiller au procureur de la République de désigner un juge d'instruction pour garantir l'indépendance de l'enquête sur le déclenchement des troubles à Clichy, ou sur l'affaire de la grenade tirée contre la mosquée. C'est ce qu'on attendrait d'une démocratie moderne, mais en somme nous une? Tout le monde a droit à l'expression de la vérité, plutôt qu'à une version officielle qui a force de se refermer sur elle-même finit par en paraître biaisée. Ainsi pourquoi la police a-t-elle d'abord évoqué un cambriolage avant de reconnaître qu'il ne s'agissait que d'un vol sur un chantier? La République ne se divise pas. C'est peut-être ça, finalement, le sens de la "générosité".

PS: 14H31. Une dépêche AFP annonce l'ouverture d'une information judiciaire pour "non assistance à personne en danger" dans la mort de Zyad et Banou. Il était temps.

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