Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

20 mars 2006

Une histoire de piston


C'est un jeune collégien de Nanterre, appelons le Karim, il redouble sa troisième et adore le foot. Si ses résultats ne s'améliorent pas, ce sera le BEP direct. Sa mère l'élève toute seule. Son père vit au Sénégal. Il n'a pas abandonné son fils, c'est sa mère qui est partie pour que son fils grandisse en France. Elle était la nounou de mes nièces, à Nanterre. La cousine chez qui elle habitait était la voisine de palier de ma soeur. Aujourd'hui l'une de mes nièces travaille à M6, au Marketing. Elle a obtenu un stage pour Karim. Le stage d'observation en entreprise que tous les élèves de troisième doivent faire.
Un jour, il y a quelques semaines, la prof principale de Karim demande à ses élèves s'ils ont tous trouvé quelque chose, parce que pour ceux qui n'ont rien, elle a trouvé un chantier à Gennevilliers. La prof qui connaît la situation sociale et familiale de Karim lui propose le chantier.
-Pas besoin madame, j'ai un stage à M6.
-M6? La télé?
Stupéfaction de l'enseignante et de toute la classe.
-Arrête de te moquer de nous, tu veux?
Il était tout simplement impossible qu'un môme de Nanterre, en quasi échec scolaire- et black de surcroît- puisse entrouvrir la porte de la télé. La télé! autant dire le symbole de la réussite aux yeux de ces gosses!
Il a fallu que ma nièce appelle plusieurs fois la prof de Karim pour qu'elle admette que grâce à ses voisins français, bourgeois, qui ont donc quitté Nanterre depuis un certain temps pour habiter le centre de Paris, Karim échapperait au chantier. Pour l'instant en tout cas.
Cette histoire est, hélas, un parfait résumé des blocages français. Karim comme tous les petits blacks de 16 ans souffre du racisme. Comme beaucoup d' enfants élevés par des mères célibataires, d'origine étrangère et qui ont du mal a joindre les deux bouts, ses résultats scolaires sont médiocres. Ma soeur lui donne des cours de maths, mais cela ne suffit pas. Toutefois, pour Karim la principale difficulté c'est de ne pas disposer d' assez de réseaux pour que l'on puisse lui faire confiance. A moins qu'il perce dans le foot. Il paraît qu'il joue très bien, mais de là à faire une carrière professionnelle...
Il y a 15 ans j'ai écrit, avec Claude Askolovitch, un livre qui s'appelait "La France du piston" qui expliquait à quel point ces dynamiques de réseaux étaient prépondérantes en France. Tout le monde se sert de ses réseaux pour commencer dans la vie. Même ma nièce de M6 qui avait fait une maîtrise de gestion à Dauphine a eu un piston pour trouver ce job. Je n'imaginais pas à quel point nous avions raison.
La France est un pays conservateur qui se méfie des jeunes pas assez bien nés, qui condamne au chômage les élèves qui ne suivent pas le parcours normal de l'élitisme républicain: Bonne famille, bonnes études générales, bonne université ou grande école. L'innovation, la créativité n'est pas assez valorisée, sauf dans quelques domaines comme le rap ou le sport ou excellent d'ailleurs les jeunes laissés pour compte de banlieue, qu'ils soient black, blancs ou beurs.
Vendredi, je recevais à Public Sénat Christian Blanc, l'ancien président d'Air France. Il a parfaitement bien résumé les ressorts de la crise que nous traversons: "68 était un mouvement pour changer la société. Aujourd'hui la revendication principale c'est d'y entrer."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le piston existe partout. En Israel, il est connu sous le nom de vitamine P (P comme Piston!!).
Ma fille fait une maitrise en biotechnologie avec presentation de memoire devant s'appuyer sur des recherches en laboratoire!
Apres cela, elle n'est meme pas sure de trouver un boulot. Une de mes voisines n'a fait qu'une licence dans la meme discipline sans aucune recherche scientifique. Elle a deja un boulot bien remunere, avec voiture de l'entreprise a sa disposition. Son secret? Son oncle est le directeur de la division de l'ANPE chargee de trouver du boulot aux universitaires!